Arnaud Montebourg était l’invité le jeudi 22 septembre de L’Emission Politique, animée par David Pujadas et Léa Salamé sur France 2. On attendait que Montebourg y fit quelques clarifications.
Ce ne fut pas le cas. Il y a, au contraire, maintenu un discours rempli d’ambiguïtés. C’est pourquoi nous ne l’avions pas classé parmi les candidats « souverainistes » dans une précédente note.
On sait que le parcours d’Arnaud Montebourg suscitait en nous une certaine sympathie. Il avait repris, à la veille de la primaire de 2011, un certain nombre des thèmes de mon propre ouvrage La Démondialisation. Il s’est battu, avec beaucoup de courage et de constance, au sein des divers gouvernements auxquels il a participé de 2012 à 2014. Il s’en est expliqué d’ailleurs, devant une Léa Salamé sidérée par son honnêteté politique, qu’elle est manifestement incapable de comprendre, en disant qu’il s’agissait de choix politiques, qu’il avait pu d’ailleurs se tromper, mais qu’il considérait qu’il lui fallait aller jusqu’au bout de son combat. Dont acte ; sur ce point il n’y a rien à redire. Mais Arnaud Montebourg n’a visiblement pas tiré les leçons de la dramatique année 2015. Cela se sent dans son discours sur l’Union européenne, sur les problèmes économiques, et sur la question du terrorisme djihadiste.
Une capitulation à la Tsipras
Sur l’Union européenne, si Arnaud Montebourg tire un constat dont beaucoup de points sont partagés, il reste malheureusement dans le vague dès qu’il s’agit des propositions. La formule « casser de la vaisselle à Bruxelles » n’est qu’un effet de manche, digne certes de l’ancien avocat pénaliste qu’il fut mais indigne du dirigeant politique qu’il aspire à être.
En effet, « casser de la vaisselle » ne veut rien dire. La France ne peut plus procéder, comme dans les années 1960, à la « politique de la chaise vide » qu’avait pratiquée le Général de Gaulle. Les règles de l’UE ont changé. Bien sûr, cela ne veut pas dire que la France soit dépourvue de moyens d’action. Elle peut dénoncer unilatéralement des directives (et s’attendre à être condamnée) et suspendre sa contribution financière à l’UE. La France est en effet un contributeur net au budget de l’UE. En d’autres termes, elle verse plus qu’elle ne reçoit de l’UE.
Mais si la France dénonce unilatéralement certaines directives et décide de suspendre son financement pour mettre ses partenaires au pied du mur, elle prend le risque de faire éclater l’UE. Or, cette politique n’est crédible que si ce risque est explicitement assumé. Pour que l’on prenne Arnaud Montebourg au sérieux, il aurait fallu qu’il dise « et si cela doit entraîner la fin de l’UE, eh bien j’y suis prêt ». C’est la règle dans tout jeu de dissuasion. Vos partenaires ne vous prennent au sérieux que s’ils sont persuadés que vous irez jusqu’au bout de votre logique. Faute de le dire, il se prépare à une capitulation à la Tsipras.
Il aurait pu chercher à renforcer sa position politique en annonçant qu’il organiserait, s’il était élu en 2017, un référendum où il demanderait aux français d’appuyer sa démarche de révision globale des traités. Il ne l’a pas fait, et cela le condamne à l’impuissance.
Montebourg et l’euro
Certaines des mesures économiques qu’il a présentées sont intéressantes. Nous les avions intégrées dans la brochure Les scenarii de sortie de l’Euro qui avait été écrite avec Cédric Durand et Philippe Murer en 2013, à sa demande et avec son soutien indirect, via la fondation ResPublica qu’anime Jean-Pierre Chevènement. Mais, l’essentiel est l’écart de taux de change réel entre la France et l’Allemagne aujourd’hui estimé à 21% par une étude du FMI. C’est cet écart, qui peut d’ailleurs être même plus grand pour d’autres pays, qui explique l’excédent commercial monstrueux de l’Allemagne. Concrètement, cela veut dire que la France doit dévaluer d’au moins 20% par rapport à l’Allemagne. On comprend bien que cela n’est pas possible tant que l’on reste dans le cadre de l’Euro.
C’est pourquoi, nous avions – Cédric Durand, Philippe Murer et moi-même – calculé des ajustements du taux de change qui étaient comprises entre 20% et 30% à la suite d’une dissolution de la zone Euro. Nous avions montrés qu’une politique de fort investissement était la plus avantageuse, et que cette politique, parce qu’elle impliquait une forte demande en travail, exigerait une politique de formation des chômeurs ambitieuse. Rappelons que, dans les cinq ans qui suivent une dissolution de la zone Euro, ce type de politique peut engendrer un retour vers l’emploi de 1,5 millions à 2,5 millions de personnes.
Mais, aujourd’hui, Arnaud Montebourg propose de mener cette politique sans dissoudre l’Euro et sans réajustement des parités de change. Disons-le tout net, c’est de la folie. Les conséquences du plan de relance envisagé par Arnaud Montebourg se dissiperaient en une demande accrue pour l’Allemagne à la parité de change qui est celle de l’Euro. Nous avons dit à plusieurs reprises, en 2013 et 2014, que seule la perspective d’une dissolution de l’Euro était susceptible de donner toute sa cohérence à la politique économique défendue par Montebourg. Cela reste vrai aujourd’hui et le fait de ne pas avoir tiré les leçons des événements des deux dernières années jette plus qu’une ombre sur la cohérence de ses propositions.
Montebourg et la laïcité
Enfin, confronté au maire de Cannes, qui a impressionné par son réalisme, son calme et son intelligence, Arnaud Montebourg n’a pas su trouver les mots convaincants que l’on attendait de lui sur le rapport de la République aux différents courants religieux qui la testent et cherchent à la démanteler. Et ce n’est pas le coup de chapeau tardif à Jean-Pierre Chevènement qui peut ici servir de politique.
Arnaud Montebourg reste englué dans les miasmes d’une politique de compromis qui tourne bien trop souvent à la compromission. L’avocat brillant qu’il fut s’est trouvé pris en défaut et n’a su laisser la place à l’homme d’Etat. Il n’est resté que le politicien.
Ceci est très regrettable. Assurément, Arnaud Montebourg a encore quelques semaines pour rectifier le tir et se repositionner de manière cohérente que ce soit sur l’Union européenne, sur la croissance économique et l’Euro, et sur la laïcité. Mais, on peut craindre que sa stratégie soit au contraire de cultiver l’ambiguïté, car il espère ainsi récupérer l’électorat du P « S » et pouvoir se présenter au nom de ce parti discrédité à la place d’un François Hollande qui serait dès lors poussé vers la sortie. Aujourd’hui, à gauche, le seul candidat dont le discours montre qu’il a tiré les leçons de 2015, que ce soit de la crise grecque ou des attentats, c’est bien Jean-Luc Mélenchon.
Retrouvez cet article sur le blog de Jacques Sapir.
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