Ne jamais se fier aux couvertures sucrées ! Elles mentent. Celle d’Adieu aux espadrilles, le dernier roman d’Arnaud Le Guern, est gorgée de soleil. Pulpeuse à souhait. Au premier plan, un bikini rebondi surgit sur le corps bronzé d’une jeune femme désirable. Le lecteur est d’emblée happé par ces cuisses perlées, terriblement tentatrices. Qui refuserait de s’y lover un soir d’été ? Cette peau tendre qui respire l’huile solaire est une invitation au débordement des sens. Au loin, on entend le ressac de la mer qui berce la mélancolie des vacanciers. La plage, havre de paix, moment d’abandon difficilement gagné après onze mois de labeur, étale ses fausses valeurs et son bonheur factice en première page. Arnaud Le Guern connaît trop bien ses classiques, les stylistes désabusés et les romantiques pornographiques, pour se laisser piéger par cette carte postale. Il fuit les décors en carton-pâte et les comédies bourgeoises. Son court roman, léger en façade, déambulation d’un dandy cabossé, est perclus de blessures. Il est plein de larmes et de nostalgie. Secouez-le ! Des grains de spleen viendront se coller à votre âme. Cet éditeur non salarié, flâneur de l’édition, amateur de jolis flacons et de brindilles naturelles, construit, au fil des années, une œuvre résolument tournée vers le passé.
Le monde d’avant l’aspire et l’inspire. C’est ce qui fait toute la modernité de son écriture abrasive. « Le corps des femmes sous Giscard m’obsède » lance-t-il, par gourmandise vintage. Car Le Guern, jeune turc de la revue Schnock, n’a pas oublié les photos d’une BB moulée dans un tee-shirt blanc portant le slogan ambigu de « Giscard à la barre ». Après une stèle pour Jean-Edern Hallier et un essai remarqué sur Paul Gégauff, ce trentenaire en bout de course, bientôt la quarantaine rugissante, a une prédilection pour les plumes bien faites et les équilibristes de l’existence. Tous ces écrivains de la nuit qui jouent avec nos nerfs. Tous ces ambitieux qui ont préféré les bars d’hôtels vermoulus et les palaces poussiéreux aux rigueurs d’une austère table de travail. Nous avons tous un faible pour ces chroniqueurs des années 50/70 qui, à défaut d’avoir écrit un grand roman, ont gaspillé leur talent à coups de sprints ébouriffants. Chez eux, deux feuillets dégoupillés, condensé de méchanceté et de panache, avaient bien plus d’attrait que les milliers de pages de leurs confrères. Le Guern a beaucoup lu et bu. En matière de vin comme de littérature, il s’est toujours enivré du meilleur. La fulgurance de Morand, le snobisme de Frank et la mélodie de Toulet. Son « Adieu aux espadrilles » tient à la fois de la déclaration d’amour à une femme fatale et du cabotage littéraire.
Le sujet était casse-gueule. Raconter les affres d’une romance sur les bords du lac Léman sans boire la tasse relève d’un tour de force. A l’ombre des villas, Le Guern a trouvé le bon ton pour se délivrer sans ennuyer. Il susurre ses secrets d’alcôve sans jamais sombrer dans le pathos. Cette autofiction alterne ébats et débats, provocation et introspection. L’écrivain mélange ses souvenirs et ne craint pas d’abuser du name dropping. Sa sincérité est à ce prix-là. Elle se niche dans ce fatras de références. Il s’emballe pour Sophie Barjac et Mélanie Coste, le chien Dagobert et Lindsay Lohan, Claude Sautet et Californication. Sa mémoire tressaute sur le fil des années 90. Et quand les histoires de famille semblent trop pesantes, le visage d’une petite fille vient éclairer ce marasme. Le Guern ne laisse jamais la médiocrité des sentiments l’emporter. Cet Adieu déchirant, intrusif et érotique est l’indispensable BO de l’été. À inscrire d’urgence sur votre playlist !
Adieu aux espadrilles, Arnaud Le Guern – Editions du Rocher, 2015.
*Photo : wikimedia.
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