Arnaud Lacheret publie Les territoires gagnés de la République, récit retraçant son expérience professionnelle dans l’équipe d’Alexandre Vincendet, maire UMP de cette ville de banlieue lyonnaise. Son témoignage est à la fois curieux, instructif et… irritant.
De 2014 à 2017, Arnaud Lacheret a été le proche collaborateur d’Alexandre Vincendet. Il y prodigue alors ses conseils au maire de Rillieux-la-Pape dans le Rhône, élu à tout juste 30 ans, droite copéiste, affichant une image “sécuritaire”… Jusqu’alors, la ville de banlieue lyonnaise de 18 000 habitants avait connu deux décennies de mairie socialiste.
Effroyables compromissions
A la lecture de ses territoires gagnés de la République, le lecteur comprend vite que Lacheret entend lutter pied à pied contre le communautarisme musulman qui gangrène la ville. Mais l’auteur n’aura de cesse de pondérer ce qui apparaît comme d’effroyables compromissions. C’est que Rillieux-la-Pape serait surtout victime de sa pauvreté et de sa précarité… Dans ces conditions, pas évident pour le maire de ne pas participer à la rupture du jeûne du ramadan… ou d’arrêter d’allouer gratuitement le gymnase pour la prière de l’Aïd.
Lire aussi (Arnaud Lacheret – 2018) : De la difficulté de faire régner l’ordre au temps du Ramadan
Dès les premières pages du récit, l’objectif est de “rendre hommage à ces maires qui bricolent en permanence avec la loi [de 1905]”. Quant à Lacheret, il annonce qu’il compte se la jouer modeste : “Ce livre n’est pas un guide de bonnes pratiques”. Évidemment, il “ne constitue en rien un pamphlet visant à critiquer une religion ou une communauté.” Voilà qui serait vraiment affreux. Soyons rassurés, les susceptibilités seront effectivement ménagées. Pourtant, les 167 pages salées qui viennent ensuite sont un panorama des abus locaux … et un recueil de petits arrangements parfois peu républicains.
Communautarisme musulman en banlieue lyonnaise
Parmi les réjouissances que les administrés de Monsieur Vincendet lui ont réservées : école coranique cherchant local désespérément, barbecues sauvages empêchant les habitants de dormir la nuit venue (de jour, pendant le Ramadan, “ l’islam joue un rôle de régulateur social”), mosquée clandestine, “ risque politique” permanent, intimidations, chantage au racisme, chantage à la prière de rue, prolifération des commerces halal ou guet-apens de la police municipale par des jeunes (le soir même des attentats du 13 novembre 2015).
Très soucieux de l’image du maire et de la commune pour lesquels il travaille, inquiet de ce que la presse locale ou les télés nationales pourraient dire, Monsieur Lacheret n’a pas une minute à lui.
Déshonorant ?
“Des musulmans, il y en a de plus en plus, on n’y peut rien, il faut bien s’y faire…” témoigne un employé municipal, qui ne cherche pourtant pas la polémique. Tout de même, Lacheret entend bien sortir du “chemin de dépendance”[tooltips content= »Paul Pierson, 2010″]1[/tooltips] et remettre de l’ordre dans la ville. Surtout, remettre au goût du jour quelques valeurs républicaines. C’est tout à son honneur.
Mais c’est un véritable casse-tête tant est important le “décalage immense entre les textes” de loi encadrant la laïcité, récités alors par un Jean-Louis Bianco aussi laïque qu’un pape, et “la réalité sur le terrain”. Quitte à trahir son électorat, Vincendet se compromet alors à plusieurs reprises dans des petits arrangements avec la loi. Lacheret les estime inévitables pour qui veut obtenir des résultats face à la pression religieuse. Puis surviennent les attentats de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Ce jour-là, quand l’effroyable nouvelle apparaît sur les téléphones portables, Lacheret parlemente discrètement avec les responsables de la mosquée clandestine : “L’essentiel (…) est de ne pas faire de bruit, de se montrer capable de gérer ce genre de situation sans heurts tout en se montrant fidèle aux principes”. Après une descente nocturne où ils se demandent ce “que font deux jeunes imams saoudiens au fond d’une cave de Rillieux-la-Pape”, Vincendet et Lacheret, nos deux pieds nickelés de la municipalité, tombent de leur chaise quand les responsables du lieu affirment rigolards : “C’est pas nous, on vous jure…” après ce qui vient de se produire à Paris. Ubuesque !
Stratagèmes confidentiels et bricolage…
Si le détail des effroyables confidences d’Arnaud Lacheret est passionnant et que nombre de ses observations sont pertinentes, certains mots demeurent mal choisis. L’auteur excelle dans l’art de l’euphémisme et de la litote. Il parle ainsi de “banlieues populaires”, alors que leur description répétée fait qu’on pourrait tout aussi bien les qualifier de quartiers islamisés. De même, pourquoi parler d’“école privée hors contrat” alors que “école coranique” était plus précis ? L’auteur raconte une expérience dans l’administration, non avare de termes abscons. Mais on ne peut s’empêcher de penser que la situation est plus critique encore que celle décrite par ce vocabulaire édulcoré…
Sentiment d’insécurité culturelle
Lacheret montre en revanche très bien comment “du jour au lendemain, un petit quartier tranquille et préservé” plonge dans “l’insécurité culturelle”. Il suffit pour cela que les habitants des pavillons voient soudainement déambuler dans les rues “barbus en robe traditionnelle” et “femmes voilées de noir”, et que les appels répétés au maire demeurent sans effet. Alors qu’un local de campagne de la droite(!) se transforme en “café foot” communautaire où l’on ne sert pas d’alcool, alors que Tariq Ramadan tente de donner une conférence dans une salle municipale (en essayant de berner les élus quant à la nature de la manifestation), Lacheret dresse un terrible constat : “le droit est quasiment systématiquement défavorable au pouvoir local”. Quelles que soient les bonnes volontés des édiles, en milieu islamisé, “les décisions de justice plaident en faveur d’une laïcité très ouverte”. Même s’il déplore cet état de fait, Lacheret dessine un bilan positif des années passées à Rillieux-la-Pape. Dialogue avec les habitants, arrêtés en faveur de la “tranquillité publique”, bonne volonté et mille stratagèmes permettraient de “bricoler” les solutions permettant d’afficher un semblant de République, alors que l’État est aux abonnés absents.
Une question reste sans réponse : quand la situation est si dégradée, est-il encore l’heure de “bricoler” avec une législation inadaptée ? Face à nous, les entrepreneurs de l’islam identitaire ont d’excellents avocats, apprend-on. On referme le livre instruit mais inquiet. Sans douter des bonnes volontés locales, l’ampleur des problèmes appelle des solutions politiques nationales.
Les territoires gagnés de la République ? Arnaud Lacheret, éditions Le bord de l’eau.
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