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Arménie: le danger d’un nationalisme à distance


Arménie: le danger d’un nationalisme à distance
Nikol Pachinian, Premier ministre de l'Arménie, en visite à Paris, 1er juin 2021 © HAMILTON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 00878715_000056

Une tribune libre de Maxime Gauin, chercheur au Centre d’études eurasiennes (AVIM)


Qu’une diaspora veuille peser sur la politique de son pays d’origine (ou qu’elle considère comme tel) n’est pas original. La Tunisie est ainsi devenue, en 2011, le pays du monde où les expatriés et les binationaux de l’étranger sont, proportionnellement à la population, les plus représentés au parlement. Quant à la diaspora sénégalaise en France, les candidats à la présidence de ce pays africain la considèrent, à tort ou à raison, comme pesant d’un poids décisif et leur représentation au parlement a doublé en 2018.

Il existe cependant un cas tout à fait singulier : celui de la diaspora arménienne. La portée symbolique et parfois pratique, sur la vie politique française, de ceux qui parlent en son nom est sans rapport avec le poids démographique (environ trois cents mille personnes, déduction faite de celles qui sont totalement assimilées), et plus encore avec la base militante des associations arméniennes en France : leurs journaux et même leurs sites Internet ferment les uns après les autres depuis 2009, faute de lecteurs ; la plupart de leurs manifestations à Paris, depuis 2007, n’ont pas pu rassembler plus de 300 participants. À la différence des diasporas précitées, la diaspora arménienne, en France comme sur le continent américain, est majoritairement constituée de personnes dont les ancêtres venaient de l’Empire ottoman ou de pays qui en sont issus — le Liban tout particulièrement — et qui n’ont donc ni la nationalité arménienne, ni même une connaissance approfondie de la situation de cette ancienne république soviétique.

Or, après avoir encouragé l’Arménie au pire, ceux qui parlent au nom de la diaspora arménienne se retrouvent, pour la plupart, dans une situation inédite de conflit avec le gouvernement d’Erevan issu des urnes, et tentent d’utiliser des élus français dans ce conflit, en pratiquant le chantage électoral (pour le moins). En 1992, l’Arménie a envahi son voisin l’Azerbaïdjan, s’emparant non seulement de l’ex-république autonome du Haut-Karabakh (peuplée en majorité d’Arméniens ethniques, citoyens azerbaïdjanais) mais aussi de sept autres districts, qui ne comptaient qu’1% d’Arméniens au recensement soviétique de 1989 ; sur l’ensemble des territoires ainsi occupés, pris en bloc, comme dans certaines villes du Haut-Karabakh, les Arméniens étaient minoritaires, à la veille de l’invasion. La majorité azérie, et plus généralement musulmane, a été éliminée, par l’expulsion et le massacre. Quatre résolutions du conseil de sécurité de l’ONU, adoptées en 1993, ainsi qu’une résolution de l’Assemblée générale, votée en 2008, ont exigé le retrait immédiat des forces d’occupation, en vain. La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Arménie, en 2015, pour l’expulsion d’une famille kurde azerbaïdjanaise. 

Ceux qui parlent au nom de la diaspora arménienne ont soutenu les éléments les plus nationalistes de l’Arménie, les ont encouragés à l’intransigeance, et au mépris de toutes les décisions qui viennent d’être citées. La conséquence inévitable est arrivée : plus peuplé, plus riche, soutenu par la Turquie — mais aussi par Israël, l’Ukraine, la Géorgie et la Hongrie — l’Azerbaïdjan a reconquis, l’an dernier, son territoire internationalement reconnu comme tel. Le Premier ministre arménien Nikol Pachinyan a pu ainsi mesurer l’ampleur de ses erreurs et de ses fautes, ainsi que de celles de ses prédécesseurs. Sur une ligne toute différente, il a gagné les élections législatives de juin dernier. Or, les associations d’Arméniens en France comme outre-Atlantique demeurent, pour la plupart, hostiles à M. Pachinyan, à cause de son évolution, et parlent de reprendre la guerre, ce qui serait catastrophique pour l’Arménie elle-même, mais pas pour leurs membres, qui parlent à leur aise depuis Paris, Lyon ou Marseille. Un point culminant a été atteint lorsqu’un coprésident du Conseil de coordination des associations arméniennes de France (CCAF), Franck « Mourad » Papazian, s’est inquiété de la perspective suivante : en cas de paix, « la Turquie et l’Azerbaïdjan développeront des industries en Arménie », ce qui donnerait du travail aux nombreux chômeurs locaux (Radio AYP FM, 26 décembre 2020). Il n’a pas changé d’avis depuis : il appelle maintenant à manifester, en France, contre le gouvernement arménien.

Cette façon d’être plus royaliste que le roi ne serait qu’anecdotique sans l’extraordinaire agressivité de ce qu’il reste de militants et de sympathisants au nationalisme arménien en France. Les dirigeants de TF1 et Liseron Boudoul, journaliste de cette chaîne, ont été menacés de mort l’an dernier, l’un des appels au meurtre proposant explicitement d’imiter l’assassin de Samuel Paty. Le motif ? Un reportage avait déplu. Des journalistes collaborant à Libération ont été aussi menacés d’attentats par des fanatiques qui parlent de reconstituer l’Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie (ASALA), connue notamment pour l’attentat d’Orly (huit morts ; la bombe devait exploser en vol et tuer ainsi 117 personnes) : ces journalistes avaient parlé des néonazis engagés du côté arménien. Encore plus récemment, en avril dernier, le politiste Bruno Tertrais a été diffamé sur Facebook par Armen Ghazarian, responsable de l’association arménienne Yerkir, pour avoir osé dire certaines vérités sur le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Un commentateur a prôné le terrorisme homicide contre M. Tertrais. Il a fallu plusieurs jours, et l’affichage de ces horreurs, avec dénonciation à l’intéressé, pour que tout fût retiré. Cela ne devrait étonner personne, car des hommages aux terroristes kamikazes de Lisbonne (attentat-suicide de l’Armée révolutionnaire arménienne contre l’ambassade de Turquie au Portugal, en 1983) ont lieu chaque année, en toute impunité, sur le sol français. 

Or, ceux qui organisent de tels hommages sont régulièrement reçus par des élus, locaux et nationaux, en France, aujourd’hui, comme s’ils représentaient autre chose qu’eux-mêmes. Ces réceptions nuisent à l’intérêt national français, par la perte de contrats et donc d’emplois, mais aussi à l’Arménie elle-même, qui a besoin de paix et de réconciliation — de réduire sa dépendance à l’Iran des mollahs. Des accords, pour l’établissement de relations normales, notamment en matière économique, sont en passe d’être signés par Erevan avec l’Azerbaïdjan, voire la Turquie. Cela stabiliserait la région, au bénéfice de toutes les personnes de bonne volonté.



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Docteur en Histoire, chercheur au Centre d’études eurasiennes (AVIM)

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