Le 14 juillet, jour de la fête nationale, est marqué, traditionnellement, par le grand rendez-vous des Français avec leur armée. Un rendez-vous attendu des deux côtés : un sondage[1. Ifop DICoD, mai 2016] montre que 87 % des Français ont une bonne image de l’armée qui est l’organisation dans laquelle ils ont le plus confiance (à 81%) derrière les hôpitaux ; pour les militaires, malgré la surcharge de travail que représente la préparation longue et minutieuse du défilé, c’est une reconnaissance qu’ils apprécient tout particulièrement parce qu’ils la savent sincère et sans calcul.
Depuis bientôt trois décennies, les armées françaises ont en effet été soumises à rude épreuve, prises en étau entre l’utopie politique de « toucher les dividendes de la paix » et la réalité d’un monde instable dans lequel la France voulait tenir son rang de membre permanent du Conseil de sécurité et contribuer à la stabilité et à la défense des droits de l’homme.
L’utopie politique a conduit à une érosion drastique des effectifs, à tel point que l’armée professionnelle actuelle compte moins de soldats de métier qu’en avait l’armée de la conscription avant 2002. Une baisse concomitante — non corrélée et supérieure — des budgets a eu des répercussions sur le renouvellement et l’entretien des matériels. Et enfin, un empilement de réformes technocratiques donnent aux armées un mode de fonctionnement inspiré de l’administration civile, manifestement inadapté à la spécificité militaire et dont les effets se font progressivement sentir au quotidien.
Après les attentats islamistes sur le territoire national et avec l’effort de guerre à conduire dans la « bande sahélo-saharienne[2. Désignation utilisée pour définir le théâtre d’action des opérations Serval puis Barkhane au Mali, Niger, Burkina Faso.] » et en Irak-Syrie, quelques mesures de faible portée ont donné le change (18 750 postes « non supprimés », rallonge budgétaire de 3,8 milliards d’euros à répartir entre 2015 et 2019 ! ). Mais le format de l’armée de 2019 en fin de loi de programmation restera aux alentours de 200 000 militaires avec un budget de 32 milliards soit 4,3 % des effectifs totaux de la fonction publique et 3,1 % de la dépense publique totale[3. Il s’agit de la fonction publique « tous versants » (Etat, collectivités territoriales et hospitalières) et de la dépense publique totale (financée par la totalité des impôts et taxes et les emprunts).], des chiffres bien faibles pour une fonction régalienne, pourtant premier article du contrat démocratique par lequel le peuple donne pouvoir à l’Etat pour assurer sa sécurité.
Mais l’utopie s’est, pendant toute cette période, colletée avec la réalité. A partir de 1990, les « opérations extérieures », jusqu’alors cantonnées à des opérations coup de poing en Afrique, se sont multipliées : guerre du Golfe, Balkans, Cambodge, Timor, mer Rouge et océan Indien, côtes ouest-africaines, Antilles et Guyane, Haïti, Pakistan, Asie du Sud-Est, Côte d’Ivoire, Centrafrique, Sierra Leone, Tchad, Afghanistan, Mali, Niger, Irak, Syrie, etc. Opérations extérieures aux multiples formats : armée de terre, marine, armée de l’air, forces spéciales, service de santé des armées, service des essences des armées ; pour de multiples missions : guerre, imposition de la paix, maintien de la paix, interposition, opérations de secours, évacuation de ressortissants ; sous divers statuts : mandats du Conseil de sécurité des Nations unies, devoir de protéger[4. Déclaration de l’Assemblée générale des Nations unies de 2005.], demande d’assistance d’un Etat tiers, légitime défense de ressortissants. Il s’y rajoute la participation à la sécurité des Français sur le territoire national même avec les opérations Vigipirate et Sentinelle.
Le savoir-faire du soldat français est reconnu par les armées alliées
Cet aguerrissement fait de l’armée française une des rares armées à maîtriser tout le spectre de compétences et les modèles stratégiques et juridiques de l’action militaire. Il a développé un modèle de soldat français dont le savoir-faire et les capacités tactiques sont reconnus et appréciés par les armées alliées.
Si toutes les opérations mériteraient d’être citées, l’on peut cependant souligner quelques performances. Le déploiement en quelques jours de la force aéroterrestre Serval par les mers et les airs (au Mali, en janvier 2013) qui a stoppé net un raid islamiste vers Bamako sauvant ainsi les Maliens et les Européens résidants d’une prise massive d’otages voire d’exécutions sommaires (pensez à la situation à Mossoul quelques mois après). Une réussite qui tient à quatre compétences clés d’une armée opérationnelle : la conception d’état-major, la planification logistique, l’intelligence tactique et le mordant de tous du concepteur de l’action aux exécutants de première ligne. La campagne aérienne et maritime en Libye (Harmattan, en 2011) puis l’engagement décisif des hélicoptères de l’armée de terre et leur extraordinaire bilan qui a confondu le commandement de l’OTAN et montré la supériorité tactique du concept d’aérocombat de l’armée de terre.
Ces capacités humaines et militaires sont détectées, mûries et développées par une politique exigeante de formation et d’entraînement en constante innovation. Le contrôle des compétences et des aptitudes est permanent, l’avancement est au choix. L’ascenseur social fonctionne mais sans complaisance (dans l’armée de terre par exemple, 70 % des officiers sont issus du corps des sous-officiers et 70 % des sous-officiers sont issus du corps des militaires du rang) et sans aucun « droit acquis » de carrière (environ 63 % des militaires tous grades confondus sont sous-contrats courts). Les taux d’encadrement sont faibles (environ 14 % d’officiers, contre 46 % de catégorie A, niveau équivalent, dans la fonction publique d’Etat).
Formation et entraînement combinent exercices réels et usage de la simulation et de l’informatique, exigent rigueur dans l’exécution des gestes et dans l’application des procédures et font une large part à la formation « morale et éthique » et au développement de la dynamique d’équipe.
Résultat : une organisation humaine dévouée au bien commun, soudée et fiable dont la compétence dépasse largement le cadre de la coercition militaire stricto sensu. Que la Nation doute, que la cohésion sociale s’érode, que l’illettrisme et le chômage s’installent et l’on se tourne vers les armées : service militaire obligatoire ou volontaire, service militaire adapté, opérations de sécurisation Vigipirate ou Sentinelle. De l’« ultima ratio regis[5. L’ultime argument des rois : devise que Louis XIV a fait inscrire sur les canons de son armée.] », les armées françaises sont devenues le dernier recours de la République et des peuples opprimés dans le monde, elles occupent un espace politique (au sens premier du terme de service public) et social, tout en gardant une efficacité opérationnelle indiscutée unique dans le monde. Un outil qui craint plus les coupes sombres budgétaires, les errements politiques et la désaffection de la Nation, que les défis du monde à venir.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !