Accueil Politique Démission de Pierre De Villiers: l’armée doit être loyale au peuple, pas à Emmanuel Macron

Démission de Pierre De Villiers: l’armée doit être loyale au peuple, pas à Emmanuel Macron


Démission de Pierre De Villiers: l’armée doit être loyale au peuple, pas à Emmanuel Macron
Pierre de Villiers et Emmanuel Macron lors du défilé militaire du 14 juillet 2017 sur les Champs-Elysées à Paris. SIPA. 00815060_000013

Depuis quelques jours, une forme d’opposition semblait s’afficher entre Emmanuel Macron, président de la République et donc chef des armées, et le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des Armées (CEMA), c’est à dire le plus haut placé dans la hiérarchie militaire française hors gendarmerie. Il était question de limoger le CEMA, la décision devrait être rendue publique d’ici la fin de la semaine et, finalement, on apprend ce matin que le général a choisi de démissionner. La raison ? En commission, Pierre de Villiers a vertement critiqué de nouvelles coupes budgétaires et souligné leur impact inévitable sur la capacité opérationnelle des forces. Ajoutons que la critique fut faite en des termes qui rendaient inévitable sa diffusion publique.

Bien sûr, qu’un pays, frappé par le terrorisme et gangrené par des réseaux de fanatiques et de criminels disposant d’armes de guerre, choisisse de diminuer son budget de défense en même temps qu’il se prépare à financer des Jeux olympiques laisse songeur. Mais sans même parler de l’opportunité des choix budgétaires, l’analyse d’une telle situation doit aller au-delà du classique « se soumettre ou se démettre », notamment parce qu’elle concerne un militaire de haut rang.

La « merveilleuse trinité »

En première approche, évidemment, un chef des armées ne peut se permettre de voir ses décisions publiquement contestées par l’un de ses grands subordonnés. Toute faille entre l’Etat et les forces armées serait une faiblesse que nos ennemis seront tentés d’exploiter. Clausewitz l’a théorisé avec la formule de la « merveilleuse trinité », triangle dont les sommets sont l’armée, le gouvernement et le peuple qui doivent être unis pour assurer la robustesse d’une nation. Avant lui, Sun Tzu, Machiavel et bien d’autres l’avaient également analysé.

La responsabilité de cette union harmonieuse n’incombe pas, pour autant, aux seuls militaires, et leur devoir de réserve est précédé et supplanté par un devoir de loyauté – encore faut-il savoir envers qui, ou quoi.

Un militaire est soumis à des contraintes exorbitantes du droit commun car ses fonctions sont elles-mêmes et par nature hors normes, c’est à dire en dehors des normes communes. Bien que les nécessités de la guerre ne donnent pas tous les droits, sans quoi la guerre n’est plus seulement un drame mais devient une monstruosité, le droit habituel ne peut s’appliquer tel quel aux situations de guerre.

Macron n’est pas César

Les militaires risquent leur vie au combat, mais là n’est pas leur spécificité. Policiers, pompiers, secouristes entre autres peuvent aussi être amenés à risquer leur vie dans l’accomplissement de leur devoir. Mais seuls les militaires sont amenés à tuer dans le cadre de leurs missions (hors légitime défense). Leur chef, le CEMA, n’est donc pas un directeur d’administration comme les autres.

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A qui doit aller sa loyauté et, avec elle, celle de tous les militaires ? Au président ? Au gouvernement ? A l’Etat ? A la nation ? Au peuple français ? A tous les habitants de la France ? A la France elle-même, ou à « une certaine idée de la France » ?

N’en déplaise à Emmanuel Macron, ce n’est pas pour lui que Pierre de Villiers devait ordonner aux hommes et aux femmes sous son commandement de risquer leurs vies ou de prendre celles de leurs ennemis. Ce n’est pas à lui que doit aller leur loyauté. Même élu, nul ne peut se décréter César, seulement l’être. Et l’Empereur lui-même devait servir Rome.

La souveraineté appartient au peuple

Comme l’affirme notre constitution, la souveraineté appartient au peuple. C’est donc lui, et lui seul, que les armées doivent servir, en obéissant aux décisions de ses représentants légitimes, à savoir les parlementaires.

Or, si cette loyauté impose de se soumettre même aux décisions budgétaires, elle impose aussi d’informer le plus honnêtement possible le Parlement des conséquences prévisibles des décisions qu’il projette, afin que celles-ci soient lucides et assumées.

En outre, sous réserve de ne pas rendre publique et donc accessible à nos ennemis d’information sensible, ce même devoir de loyauté impose aux militaires d’informer le plus clairement possible l’ensemble des citoyens sur les conséquences des choix politiques en matière de Défense. Nos militaires sont des experts dans leur domaine. Bien sûr, l’expertise technique n’a pas à se substituer au débat démocratique ni au choix politique – au sens noble du terme. Mais elle doit nourrir le débat, elle doit être un élément de la réflexion et de la décision politiques. S’en priver, comme on l’a trop fait, conduit à débattre de postures de principe sans connaissance des réalités opérationnelles. Les cas de la Libye et de la Syrie en sont de désastreux exemples. Emmanuel Macron, ex-ministre d’un président voulant faire alliance avec ce qui est aujourd’hui l’Etat islamique pour combattre Bachar el-Assad, devrait le savoir…

On ne peut rien reprocher à Pierre de Villiers

De quel droit, donc, reprocher au CEMA d’avoir donné au peuple souverain et à ses représentants les moyens de décider en conscience et en toute connaissance de cause ?

On m’objectera que le général Pierre de Villiers était aussi un haut fonctionnaire, tenu de ce fait à un autre devoir de loyauté envers son administration. C’est vrai, mais s’arrêter là reviendrait à ignorer une autre spécificité de l’état militaire : les limites strictes imposées à la liberté d’association.

Soyons clairs : une grande partie des récentes déclarations du CEMA n’auraient choqué personne si elles étaient venues d’un responsable syndical. Mais les militaires n’ont pas de syndicats, et n’ont pas le droit d’en avoir.

Faut-il pour autant renoncer à informer les citoyens de l’état de nos forces armées autrement que par le biais des déclarations officielles du ministère et les réponses convenues aux questions parlementaires ? Non, car une solution simple existe.

Laisser parler la grande muette

Depuis peu, les militaires ont le droit de constituer des associations professionnelles, mais elles ne rassemblent pour l’instant qu’un faible pourcentage de nos soldats.

Cependant, les militaires disposent aussi de « représentants du personnel », appelés conseillers concertation, dont certains siègent au sein de conseils nationaux appelés Conseils de la Fonction militaire (CFM).

Contrairement à des délégués syndicaux à temps plein, ceux-ci continuent pour l’essentiel à exercer leurs fonctions opérationnelles, et ne peuvent donc se transformer en « professionnels de la revendication » à l’agenda politique plus ou moins voilé. En outre, ils représentent l’ensemble de leurs camarades, et pas seulement d’éventuels adhérents. Parmi les armées, la gendarmerie est allée encore plus loin pour reconnaître leur légitimité et a choisi qu’ils soient élus par leurs pairs. Là où la hiérarchie porte la parole officielle des armées, ces CFM, composés de militaires de tous grades et de toutes spécialités, portent la parole des militaires. Et en tant que corps social, payant le prix du sang pour la sécurité de tous, ceux-ci ne sauraient continuer à être exclus du débat démocratique.

Hélas ! A ce jour, les CFM ne sont censés formuler des avis que sur les questions statutaires et liées à la condition militaire. L’organisation et l’emploi des forces sont exclus de leur champ théorique de compétence, et ils ne sont qu’informés des sujets budgétaires. Surtout, quels que soient leurs avis, ils ne peuvent pas les faire librement connaître par voie de presse. Ceux-ci restent donc sans effet sur l’opinion publique et sur l’électorat, et de ce fait d’un impact limité sur les élus…

Les militaires, des citoyens à part entière

Chef des armées, Emmanuel Macron est en droit d’exiger de ses collaborateurs stratégiques une adhésion sincère à ses décisions et l’absence de critiques publiques. Il ne peut pas pour autant attendre que le CEMA cautionne des mensonges éhontés sur la situation de nos forces armées et de notre capacité de défense.

Le choix du général de Villiers est honorable, habile, et sans doute un choix du cœur. Alors qu’il venait d’être reconduit dans ses fonctions pour un an, on lui demande d’avaliser une dégradation budgétaire majeure. Comment l’accepter sans avoir le sentiment de s’être fait acheter, et piéger ? Plutôt que de conclure sa carrière en pliant l’échine devant une décision qu’il juge inique, ce qui aurait été trahir à la fois ses subordonnés et les raisons mêmes de son engagement sous les drapeaux, il a décidé d’en sortir par le haut, avec panache, d’alerter l’opinion publique et de partir.

Ce choix, aussi, oblige Emmanuel Macron a clarifier très rapidement sa position vis-à-vis des militaires. Il ne peut pas se permettre de leur envoyer le signal qu’ils sont « juste bons pour se taire », envoyés au front au nom d’une population qui ignore tout de ce qu’ils vivent et refuse même qu’on le lui dise. Il doit les reconnaître comme des citoyens à part entière, ce qui est une condition nécessaire à la cohésion entre les armées et la nation, plus nécessaire que jamais.

Il faut rapidement donner à la communauté militaire le moyen de porter son expertise dans le débat public, de manière factuelle, sans esprit partisan ni polémique. Le moyen, en somme, de rendre compte sincèrement et loyalement au peuple souverain.

Et la meilleure solution pour y parvenir serait d’octroyer enfin une totale liberté d’expression aux Conseils de la Fonction militaire de nos différentes armées.

Article mis à jour le 19/07/17 à 12h00.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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