« Être soldat n’est pas une profession comme les autres » déclarait François Hollande à Olivet le 9 janvier 2013. « C’est accepter d’emblée le sacrifice, y compris celui de sa vie pour la patrie ».
Dans ses vœux aux Armées, le président de la République a choisi de mettre en valeur la spécificité du métier de soldat, qui rend cette profession incomparable aux autres. En effet, la Nation autorise ses militaires à porter les armes en son nom et leur délègue le droit de tuer au risque d’être eux-mêmes tués ou blessés. Cela « mérite la reconnaissance de la Nation » tel que le précise l’article premier du Code de la défense.
L’Afghanistan est depuis la guerre d’Algérie le conflit le plus meurtrier qu’a connu l’armée française : 88 morts au combat, plus de 700 blessés. Derrière le débat autour du nombre de morts, toute la question est de savoir ce que représente pour la société la perte d’un de ses soldats. L’opinion publique ne perçoit pas la mort d’un soldat comme la « définition la plus exigeante du devoir des militaires »[1. Jean-Pierre Albert, « Du martyr à la star. Les métamorphoses des héros nationaux ».]. Les engagements de l’armée française semblent peu reconnus ou peu compris. Et c’est en partie pour cela que l’impression d’indifférence et de passivité, dont ont fait l’objet ces onze années d’engagement afghan, peine à se dissiper.
Si cette apathie détonne dans les rangs de la communauté militaire, elle frappe surtout les blessés dans ces opérations de guerre, qui la vivent au quotidien dans leur parcours de soins. Le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre prévoit dans ses articles L.115 et L.128 la gratuité des soins médicaux, de l’appareillage et des aides techniques. Or, dans les faits, ce sont les règles de prises en charge édictées par la sécurité sociale qui prévalent. Les frais ne sont donc pas pris en charge dans leur totalité par les acteurs sociaux institutionnels[2. AC : Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, Mutuelle militaire UNEO.]. C’est le milieu associatif qui prend le relais de l’Etat en prenant à son compte la part restante du financement. Par exemple, les associations Solidarité Défense et Terre Fraternité ont participé en 2012 à l’achat de prothèses de dernière génération pour six blessés amputés. Réalisé aux Etats-Unis, le coût unitaire de cet appareillage est de l’ordre de 50 000 à 60 000 € et permet de recouvrer une mobilité convenable. C’est aussi le cas de l’UBFT[3. Union des blessés dela Faceet de la Tête] (Fondation des « Gueules Cassées ») qui dans le cas d’une blessure par balle au visage assume financièrement ce que la sécurité sociale et la mutuelle ne prennent pas en compte, soit près de 20 % des frais.
De là à comparer les blessures en opérations de guerre avec un handicap civil, il n’y a qu’un pas que l’administration franchit un peu trop rapidement. Certes pour le blessé et c’est bien là le principal, tous les frais sont couverts : la majeure partie par l’Etat, le reste par les associations. Cependant pour coller à l’esprit des textes votés par la représentation nationale, il ne semble pas déraisonnable de s’interroger sur la part totale et systématique que devrait consentir l’Etat dans ces différentes prises en charge. Car finalement, être soldat blessé en opérations, est-ce être un blessé comme tous les autres ?
Dès lors, comment l’Etat ainsi que la société pourraient-ils renvoyer une image un peu plus positive que celle recueillie actuellement ?
Tout d’abord exprimer sans fausse retenue le soutien à ses forces combattantes.
« Support our troops ! » lancent de gigantesques banderoles attachées dans les halls des centres commerciaux américains, sur les frontons des fast food ou encore devant les écoles. Si la comparaison avec d’autres pays est usuelle, il ne semble bien évidemment pas approprié de comparer notre situation à celle des Etats-Unis et d’espérer des témoignages de soutien équivalents. Cependant, des initiatives existantes en France au niveau local méritent d’être généralisées. Jumeler des classes d’écoles primaires, de collèges et de lycées avec des unités opérationnelles de leur municipalité offre un double avantage : réaffirmer le lien de proximité entre la défense et les citoyens tout en valorisant l’action des soldats de sa ville, de son canton ou de son département. Adresser à ses soldats des colis ou des dessins, afficher son soutien par le port de bracelet jaune ou dans l’animation des réseaux sociaux sont autant d’exemples fructueux qui vont dans ce sens.
Le correspondant défense[4. Réseau des correspondants de défense, élus locaux en charge de la diffusion des informations provenant du ministère de la défense.] des municipalités est à ce titre le personnage clef pour susciter l’adhésion et la réussite de ce type d’initiatives et plus largement pour expliquer les missions des armées. Seule l’implication des municipalités est déterminante car elles possèdent un savoir-faire et une résonnance redoutables d’efficacité. Il n’y a qu’à brandir une menace de fermetures ou de délocalisations d’emprises militaires par exemple pour s’en rendre compte…
Au-delà des discours officiels, c’est la vraie force d’une Nation, son peuple, qui donnera l’authentique mesure de cette reconnaissance dans la durée. Il s’agira de réussir le tour de force de guérir nos blessés. Dépasser la blessure physique, parvenir à réinsérer nos blessés constitue un problème d’ordre social qui demeure le vrai enjeu. Reprendre sa place, oui ! Mais laquelle ? Ni celle de victime, ni celle d’accidenté du travail. Celle d’un citoyen respectable et considéré, parce qu’il a consenti à risquer sa vie au nom de ses compatriotes. Il convient désormais de traduire la gratitude de la Nation en réalité concrète, c’est-à-dire en une réalité administrative et budgétaire.
C’est l’essence du programme Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant qui bénéficie de crédits à hauteur de 2,8 milliards d’euros pour 2013. La prise en compte totale et systématique des soins et appareillages s’inscrit pleinement dans ce programme. De plus, la diminution annuelle du nombre de prestations qui s’élève par année à 60 000 retraites du combattant et 15 000 pensions militaires d’invalidité, permet de dégager des marges de manœuvres suffisantes pour absorber le financement complet des soins. A la différence de celui d’’invalide de guerre, le statut du blessé en opérations de guerre n’existe pas. S’il on veut se prémunir de tout amalgame entre blessé en opération de guerre et handicapé civil, peut-être conviendrait-il de légiférer sur ce point.
Afin d’éviter un déni de reconnaissance, dont les prémices sont apparues durant le conflit en Afghanistan, il est urgent de fournir à l’ensemble des Français une bonne compréhension de leur armée et des missions qu’elle conduit. Conjointement à la sortie du nouveau Livre Blanc qui fixera le niveau d’ambition dela France pour sa défense, c’est le bon moment de lancer un débat national animé par les médias avec notre classe politique et nos élites civiles et militaires sur la place actuelle des armées dans la société. Ce pourrait être l’occasion d’offrir une résonance particulière à la reconnaissance que les soldats attendent et cela donnerait un excellent indicateur de la bonne santé de notre Nation.
*Photo : expertinfantry (blessés américains pendant la guerre du Vietnam).
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