On peut parier une canette de Budweiser que Barack Obama aurait bien voulu oublier cette épineuse question. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles ses adversaires du Grand Vieux Parti (GOP, Grand Old Party, sobriquet du Parti républicain américain) entendent le contraindre à s’y intéresser.
Tout a commencé dans l’Arizona, un État du Sud-Ouest américain faiblement peuplé (grand comme 40 % de la France pour 7 millions d’habitants) où 4 habitants sur 10 ont au moins un ancêtre hispanique. Une frontière de plus 600 kilomètres sépare l’Arizona des provinces mexicaines de Baja California et de Sonora. Frontière largement fictive car, malgré d’énormes moyens investis – y compris des escadrons de drones –, immigrés et drogue continuent de la traverser. Si l’on ajoute à cela les tensions suscitées par une crise économique et budgétaire qui a vu le taux de chômage tripler en 2008, passant de moins de 4 % (plein emploi) à plus de 9 %, on comprend pourquoi la question de l’immigration mexicaine domine le débat politique.
[access capability= »lire_inedits »]À Phoenix, la capitale, on blâme Washington, car il s’agit d’une frontière internationale entre deux États souverains (les États-Unis et le Mexique) dont le contrôle incombe au ministère de la Sécurité intérieure (Homeland Security), confié aujourd’hui à Janet Napolitano. Sauf qu’il est difficile d’utiliser contre ce ministre l’éventail traditionnel des arguments antifédéraux primaires (« bureaucrates déconnectés du terrain », etc.), pour la simple et bonne raison qu’avant de rejoindre l’équipe Obama, Mme Napolitano occupa pendant six ans le poste de gouverneur de l’Arizona… Cette parcelle de la frontière américano-mexicaine (20 % de sa longueur totale), elle la connaît par cœur. Bien entendu, cela n’a pas empêché son successeur, la conservatrice Jan Brewer (« pro-life » et pro-armes à feu) et les républicains d’Arizona de tendre une embuscade politique à la Maison Blanche et à la majorité nationale.
En avril, le gouverneur Brewer a promulgué une loi aux termes de laquelle le séjour illégal sera désormais considéré comme un crime en Arizona. Si cette tentative des Arizoniens de mener leur propre politique d’immigration a déjà fait grincer quelques dents washingtoniennes − notamment celles du conseiller spécial David Axelrod −, certaines dispositions de ladite loi ont été considérées par la Maison Blanche comme totalement inacceptables. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’article permettant à un policier de vérifier les papiers d’une personne interpellée pour n’importe quelle raison « s’il juge un tel contrôle pertinent ». Autrement dit : à la gueule du client ou « au faciès ».
« Un sujet toxique pour les démocrates »
La loi devant entrer en vigueur le 29 juillet, le gouvernement fédéral a décidé d’intervenir. Le procureur général fédéral − ministre de la Justice − a attaqué le gouvernement de l’Arizona devant un tribunal fédéral, arguant qu’il s’agissait d’un dispositif raciste.
Secondée par les deux sénateurs républicains de l’Arizona, dont John McCain, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2008, Mme Brewer semble avoir trouvé des alliés jusque dans le camp démocrate. Ainsi, plusieurs gouverneurs démocrates, réunis pour leur convention annuelle, n’ont pas caché, devant le président Obama, leurs profondes inquiétudes face à la position prise par la Maison Blanche dans ce dossier sensible. Dix-neuf gouverneurs démocrates vont quitter leur poste ou briguer leur réélection dans les mois qui viennent, et ce débat leur fait peur. Ainsi, selon le New York Times, Phil Bredesen, le gouverneur démocrate du Tennessee et membre éminent du parti, a-t-il déploré le fait qu’au lieu de parler de l’emploi pendant les campagnes qui les attendent, ils allaient être contraints de se prononcer sur l’immigration, qui est selon lui « un sujet toxique dans un moment crucial pour les démocrates ».
Un risque sérieux pour Obama
En décidant de relever le défi lancé par l’Arizona, Obama prend un risque sérieux. Il sait mieux que quiconque que son intervention touche la question sensible des relations entre les États et le gouvernement fédéral, le cœur même des clivages politiques et idéologiques les plus profonds au sein de la démocratie américaine. Politiquement parlant, cette guerre menée à coups de symboles forts à quelques mois des élections de mi-mandat peut être dangereuse. Après l’essoufflement du débat sur l’assurance-maladie, qui s’est soldé par une victoire de l’Administration et, dans la foulée, du mouvement de contestation populaire contre Obama, cette question risque de relancer la gronde « tea-party ». Sans doute Obama espère-t-il qu’il pourra aussi mobiliser son propre camp autour de ses valeurs les plus emblématiques.
Au-delà de ces considérations, l’immigration devient un sujet presque aussi sensible qu’en France, dans un pays dont elle constitue pourtant l’ADN. Selon un sondage réalisé en avril, quelques jours après la promulgation de la loi par le gouverneur de l’Arizona, le pari présidentiel pourrait se révéler risqué : presque quatre républicains sur cinq et un démocrate sur deux se déclaraient favorables au texte. Autrement dit, plus de la moitié des électeurs américains semblent être séduits par une politique plus musclée contre l’immigration illégale. Contrairement à une idée reçue, la crise économique n’est pas le seul facteur de ce durcissement de la société : la politique des chiffres et des quotas a été introduite pendant la décennie 1920 (notamment par la loi de 1924), qui fut plutôt une période d’expansion économique. Un taux de chômage élevé contribue sans doute à la crispation de la société d’accueil − et quand la crise est mondiale, elle booste en même temps le nombre des candidats à l’immigration, − mais ne saurait l’expliquer seul. Les questions identitaires ont rarement été aussi brûlantes depuis l’invention de l’État-nation. « Qui sommes-nous ? » : cette question qui nous est devenue si familière hante aussi les Américains.[/access]
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