Entretien avec Ariane Denoyel, journaliste qui publie Génération zombie: Enquête sur le scandale des antidépresseurs (Fayard, 2021)
Demain tous malades ? « Tout bien portant est un malade qui s’ignore », disait déjà Docteur Knock. Aujourd’hui il se frotterait les mains. Au moindre coup de blues, des millions de Français se voient prescrire des molécules miracles censées leur redonner goût à la vie. Prozac, Stablon, Deroxat, Zoloft, Effexor etc. Ces remèdes aux noms bizarres sont-ils dangereux ? Depuis plus de sept ans, la journaliste Ariane Denoyel enquête sur les antidépresseurs. Dans Génération zombie (Fayard), elle brosse un effroyable inventaire des risques encourus. Dépendance accrue mais aussi libido ravagée, enfants malformés, pulsions suicidaires ou même envies d’homicides avec passages à l’acte… En refermant Génération zombie, vous serez vacciné contre la tentation du Prozac si vous avez le cafard lors du prochain confinement.
Causeur. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous pencher sur les antidépresseurs ?
En 2013, je suis tombée sur les travaux du professeur David Healy, un Irlandais co-fondateur du site rxisk.org. J’ai commencé à chercher des témoignages de médecins et je me suis rendu compte qu’il y avait un énorme sujet de santé public. Si ces médecins ont raison, il me semble que le thème des antidépresseurs est un Médiator puissance cent ou mille, car non seulement ces molécules sont très peu efficaces, mais en plus elles ont chez certains des effets indésirables gravissimes. D’ailleurs, dans le débat actuel sur la responsabilité, c’est très dommage qu’on ne parle pas du tout des médicaments sur prescription car ils sont sans doute à l’origine de beaucoup plus de décès que les drogues non légales.
C’est un sujet sous-estimé ?
Parfaitement. Il faut quand même savoir qu’à l’heure où je vous parle, un tiers des Français sont sous un traitement qui augmente le risque de dépression ou de suicide ! Il y a plus de 200 médicaments ainsi, cela concerne même des antiacides ou des anti-acnéiques. Quant aux antidépresseurs, ils peuvent conduire jusqu’au meurtre. Je rappelle qu’Isabelle Servier par exemple, la fille de Jacques Servier, a tué son mari à coups de hache sous l’influence des benzodiazépines. Aux États-Unis, on a eu beaucoup de cas. Le plus connu est celui de James Holmes, le tueur d’Aurora, qui était sous antidépresseur.
Vous citez aussi des noms plus près de chez nous tels que Andreas Lubitz, le pilote de la Germanwings, mais aussi Mohamed Merah ou Mohamed Lahouaiej Bouhlel, auteur de l’attentat de la promenade des Anglais à Nice. N’est-ce pas un peu facile d’incriminer les psychotropes pour ces deux derniers, sachant qu’il y a toute une idéologie islamiste qui a motivé leurs crimes ?
Je ne dis pas du tout qu’il faut incriminer exclusivement les médicaments mais dans certains articles qui traitaient de Merah ou de Lahouaiej Bouhlel, j’ai remarqué qu’il était fait mention de consommation de psychotropes. Dans la mesure où on travaille sur les facteurs déclenchant, ça me paraît délicat, étant donné ce qu’on sait sur l’action potentielle de ces psychotropes, de les éliminer complètement. Mon discours c’est juste cela. D’une façon générale, je ne comprends pas pourquoi on ne recueille pas systématiquement l’élément sur la prise d’antidépresseurs lors des enquêtes sur les meurtres et les suicides. Selon le professeur David Healy, qui est intervenu comme expert dans des procès impliquant ces molécules, neuf tueurs de masse sur dix sont sous leur influence aux États-Unis.
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Les conséquences désastreuses des antidépresseurs que vous dressez dans votre ouvrage sont édifiantes mais quelle est la part de responsabilité des « malades » ? Personne n’est obligé d’aller chez le médecin au moindre coup de déprime…
On peut considérer que c’est un réflexe relativement logique d’aller consulter quand on n’est pas bien mais il y a une bulle de désinformation médicale. C’est dur pour les médecins de se tenir au courant de tous les effets dangereux de ces molécules, ils sont déjà très chargés de travail. Quand ils sont face à une personne qui leur dit qu’elle ne va pas bien, les médecins ont peur d’un passage au suicide. C’est une crainte évidemment légitime, d’où la tentation de prescrire un antidépresseur. Mais là où l’industrie pharmaceutique a réussi un hold-up sur l’information médicale, c’est qu’elle a réussi à cacher aux médecins que les risques de suicides sont en fait plus élevés en donnant un ISRS (inhibiteur sélectifs de la recapture de la sérotonine), qui est officiellement le traitement recommandé en premier pour la dépression. Dans une étude de 2001 sur les effets de la paroxétine auprès de 275 enfants et adolescents par exemple, 11 développaient des comportements suicidaires et d’auto-agression dans le groupe médicament contre un seul dans le groupe placebo.
Vous venez de parler de « hold-up », vous incriminez pas mal l’industrie pharmaceutique et vous citez l’ouvrage Big Pharma (Les Arènes, 2013) dans votre enquête. Ne craignez-vous pas d’être récupérée par la nébuleuse anti « Big Pharma » et adepte du documentaire Hold-up ?
Je suis bien consciente qu’il y a des discours extrêmes et je ne dis pas qu’il ne faut pas se soigner. Pour autant, faut-il renoncer à la transparence ? L’industrie pharmaceutique est une puissance financière énorme au point qu’elle en arrive à déformer l’information scientifique. Moi je ne veux pas refuser d’utiliser le terme « Big Pharma » parce que les complotistes s’en sont saisis. La découverte de molécules agissant sur la sérotonine a incité l’industrie pharmaceutique à vendre le concept de dépression comme étant un déficit de sérotonine dans le cerveau, ce qui ne repose sur aucune base scientifique. Avant de prendre un traitement d’antidépresseur, vous avez le droit de savoir que peut-être, pas systématiquement évidemment, ça va modifier votre comportement d’une façon qui vous rende potentiellement dangereux, ou que ça va peut-être ruiner votre vie sexuelle pour le restant de vos jours !
La consommation d’antidépresseurs augmente avec la crise du Covid. Cela vous inquiète-t-il ?
Je vois passer comme vous des articles qui signalent une augmentation de la consommation d’antidépresseurs ou de tranquillisants. Je trouve cela évidemment préoccupant. J’aimerais beaucoup avoir des détails bien plus précis sur les chiffres et sur la suite mais c’est très difficile d’avoir de bons chiffres. Bruno Toussaint, le directeur de la revue Prescrire, m’a dit texto que si on souhaitait organiser un manque de transparence, on ne s’y prendrait pas autrement ! Les bases de données sont inaccessibles, elles sont difficiles à exploiter pour des questions de recoupage ou nomenclatures qui changent par exemple. Je pense qu’au contraire, les données sur les médicaments devraient être très faciles à trouver. Des chercheurs comme le professeur Peter Gotzsche ont démontré que la pharmacovigilance est extrêmement inefficace, elle fait remonter un effet indésirable sur cent. C’est un vrai problème car sans une vraie transparence, on alimente des discours complotistes. Désormais, la prescription d’antidépresseurs augmente très nettement chez les jeunes, qui ont donc, statistiquement, beaucoup de chances d’être psychiatrisés à vie. D’une façon générale, la psychiatrie est en train de prendre un chemin de surmédication et d’envelopper toutes nos vies, notamment celle des enfants.
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Comment en est-on arrivé là ?
On a médicalisé la vie sous la pression de l’industrie pharmaceutique. La psychiatrie est le secteur le plus concerné dans la création de maladies. On diagnostique à tout va, on crée des échelles et même des autotests. Si vous allez faire un autotest sur internet sur l’hyperactivité, vous avez une chance sur deux de vous retrouver hyperactif ! Vous allez alors voir votre médecin qui va vous proposer une « super molécule ». La molécule n’est en général pas très efficace et a plein d’effets indésirables, et vous allez être psychiatrisé potentiellement à vie.
Cette ruée sur les antidépresseurs concerne essentiellement les pays riches. Est-ce un symptôme du déclin de l’Occident ?
Je ne sais pas mais les maladies mentales sont très sujettes à la dimension culturelle, on interprète des symptômes selon son contexte culturel, c’est inévitable. En Occident au sens large, il y a une sorte de consensus selon lequel la dépression c’est cocher cinq cases sur neuf d’un test qui peut être faussé. Par exemple, vous pouvez être fatigué ou perdre l’appétit sans que cela ait le moindre rapport avec une dépression. Plus largement, je ne sais pas si c’est civilisationnel mais ce qui est sûr, c’est qu’on a perdu le bon sens et qu’on s’est fait prendre par des impératifs de marketing. Il n’y a presque plus de recherche ou d’innovation dans le médicament mais on est sous une avalanche de marketing qui nous fait croire qu’on est malade.
Génération zombie (Fayard), Ariane Denoyel
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