L’éditorial de mai d’Elisabeth Lévy
Il est trop fort le président. Pour tourner la page de la réforme des retraites, il a sorti de son chapeau une idée folle que personne n’avait eue (à l’exception de tous ses prédécesseurs) : réformer l’Éducation nationale. Cette ambition occupe une place de choix dans la liste de promesses que Papa Macron nous a faites pour nous prouver qu’il nous aime. Calmez-vous et buvez frais : l’avenir radieux, c’est maintenant. Enfin dans 100 jours. La Justice aura des moyens, mille usines s’épanouiront, la bureaucratie s’allégera. On inventera l’industrie écolo et l’IA qui rase gratis. Et donc, dès la rentrée, l’École aura changé de visage.
Cette annonce aurait pu réjouir ceux qui, comme votre servante, enragent que les Français se roulent par terre pour leur retraite, mais laissent leur École aller à vau-l’eau depuis des décennies, bercés par les illusions rassurantes du taux de réussite au bac – comme si le bac avait encore le moindre sens – et du solide pourcentage de jeunes qui vont glander dans des facs-poubelles. Évidemment, il y a une entourloupe. La pierre angulaire de cette grande réforme, c’est de mieux payer les profs. D’accord, c’est indispensable : selon une estimation consensuelle, depuis les années 1980, leur traitement aurait chuté de 2,3 à 1,1 SMIC. Il faudrait aussi augmenter les policiers qui acceptent de se faire caillasser au même tarif, ou les médecins généralistes, qui ont obtenu un infamant euro cinquante supplémentaire par consultation. Mais que ces mesures financières soient les premières réclamées et annoncées révèle notre soumission à l’empire du nombre[1]. Notre époque, observe Olivier Rey, a accouché d’une inversion diabolique : c’est à la statistique que nous demandons ce qu’il faut penser de la réalité.
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La dégradation de la politique en solutionnisme, toute solution se mesurant en euros, est l’image en miroir de la rengaine des moyens entonnée par toutes les corporations et, à travers l’obsession du « pouvoir d’achat », terme ô combien significatif, par toute la société. Cela ne signifie pas que les problèmes de fins de mois soient méprisables, ni qu’il faille se satisfaire de l’incroyable distorsion entre le pognon de dingue investi dans les services publics et leur utilité sociale réelle, mais que toute réforme d’une activité humaine devrait commencer par une réflexion sur ses finalités. À moins que l’homme se nourrisse seulement de pain.
S’agissant de l’École, cette réflexion sur les fins est d’autant plus impérieuse que le brouillage de ses missions est au cœur du désastre. Depuis l’adoption du collège unique en 1974, elle est sommée de panser toutes les plaies de la société et d’acclimater les enfants à toutes les lubies de notre temps. Elle doit former de bons citoyens, gentils avec les filles et avec la planète, antiracistes et LGBT-friendly, pallier les carences des parents en domptant les plus durs et en cajolant les moins doués. Mais l’objectif sacro-saint, rappelé par tous les gouvernements et adopté avec enthousiasme par une grande partie des enseignants, c’est la lutte contre les inégalités sociales. Ainsi, l’obsession de Pap Ndiaye, c’est la mixité scolaire – qui ira peut-être même jusqu’à l’École alsacienne où sont inscrits ses enfants : le ministre prétend imposer des quotas sociaux aux établissements privés, dont la destruction ne doit pas être assez aboutie à son goût. Peu importe que toutes les réformes égalitaires aient, en plus du reste, aggravé les inégalités. Et peu importe que tant d’élèves soient moyens, voire nuls, pourvu qu’ils le soient tous ensemble.
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On demande donc tout à l’École, tout, sauf de transmettre des connaissances. Le résultat est à la hauteur des espérances. D’après Nicolas Baverez[2], « plus de 40 % des collégiens de sixième ne maîtrisent ni la lecture, ni l’écriture, ni le calcul ». Une partie de la jeunesse lycéenne manifeste pour sa retraite. Une proportion notable des jeunes issus d’un système éducatif qui les câline parce que, ces pauvres petits, on ne va pas les décourager avec des mauvaises notes, est incapable de rigueur intellectuelle, de concentration, en un mot : d’effort, terme banni du vocabulaire pédagogique. De tous les crânes d’œuf qui ont dû plancher sur la funeste réforme du bac, aucun ne s’est avisé qu’elle allait amputer d’un trimestre la dernière année de lycée. Grâce au mirifique « contrôle continu », moins traumatisant on suppose, qu’un examen, et aux impénétrables desseins de Parcoursup, pour les élèves de terminale, les jeux étaient faits fin mars. La majorité en a conclu que l’école était finie…
Pour Nicolas Baverez, Emmanuel Macron a considérablement accéléré la déconstruction, d’une part en validant la priorité donnée à l’objectif de justice sociale et, d’autre part, « en euthanasiant le mérite pour le remplacer par les algorithmes ». Ce n’est plus une équipe pédagogique qui évalue les mérites et les capacités d’un élève, mais un logiciel dont la logique est aussi opaque (et semble-t-il aussi dévoyée) que celle des modérateurs automatiques de Twitter et consorts. Tant pis si d’excellents élèves se retrouvent sur des voies de garage, ils n’avaient qu’à naître pauvres. Il faut que le ministre puisse annoncer triomphalement que le pourcentage d’enfants d’ouvriers dans les universités augmente. Nos gouvernants ne sauraient avoir politiquement (et même philosophiquement) tort puisqu’ils ont statistiquement raison. Personne ou presque ne s’est donc demandé en quoi les 5 milliards d’euros mobilisés pour les profs rendraient l’école meilleure. Le plus ballot, c’est qu’ils ne suffiront même pas à acheter la paix sociale.
[1] Olivier Rey, qu’on lira avec bonheur sur l’euthanasie (pages 24-27) a publié en 2016 Quand le monde s’est fait nombre (Stock).
[2] Nicolas Baverez, « La grande déconstruction de l’éducation », Le Figaro, 24 avril 2023.