Un taureau tué dans une arène finit toujours dans une casserole ! La corrida n’est pas une mise à mort gratuite, mais un abattage… rituel. Le plus grand chef étoilé du monde et son épouse, Pierre et Sylvie Gagnaire, en savent quelque chose.
Le rendez-vous n’a pas été donné dans les arènes de Pampelune, qu’ils connaissent bien, mais dans leur restaurant Le Gaya, rue Saint-Simon, au cœur du 7e arrondissement de Paris. Ici, aucune chance de trouver du taureau à la carte mais peu importe, ce qui nous intéresse, c’est le lien qui existe entre gastronomie et tauromachie. Et c’est précisément le sujet du prochain roman de Sylvie Le Bihan (Mme Gagnaire à la ville). Pour elle, ces deux univers sont intimement liés car les taureaux sont tués pour être mangés, « ce ne sont pas des visons, on ne les élève pas pour en faire des manteaux », explique-t-elle. À cela s’ajoute ce qui n’est pas un détail : la corrida est associée à la ripaille et à la fête. La bonne bouffe. « Le taureau se cuisine en ragoût, précise Pierre Gagnaire, c’est une cuisine généreuse, de famille et de partage. On l’appelle “la daube des gardians”, on peut y ajouter des anchois, des abricots, des fruits secs. On la mouille avec des vins puissants, des côtes-du-rhône ou de la rioja. Ce sont des sauces qui tiennent au corps, qui enrobent les morceaux de viande et arrosent les nouilles ou les pommes de terre qui les accompagnent, sans oublier les croûtons frottés d’ail. C’est savoureux et roboratif. Peu sophistiqué, contrairement au spectacle qui s’associe à cette cuisine. » Un paradoxe qui s’expliquerait par la nature même de l’événement : on a vu la mort et on est heureux d’être en vie. Célébration sans chichis de l’existence, dans le bruit, la musique et les marmites.
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La table est omniprésente dans l’univers tauromachique. Il est courant qu’un torero ait, parmi sa suite, son cuisinier personnel, comme il a son porte-épée. Et comme les comédiens, les toreros (et leurs proches) se retrouvent toujours autour d’un bon repas après une représentation/une corrida. D’ailleurs, Sylvie a vite fait le parallèle entre un chef et un torero : chacun vit au milieu de la mort, la travaille, s’y révèle. Et chacun d’eux sait revêtir son habit immaculé pour aller saluer son public : les clients attablés en salle pour l’un, les spectateurs de l’arène pour l’autre.
De la tête à la queue
Comme dans le cochon où tout est bon, le taureau a des parties mythiques. Et ses cojones, ses testicules, sont un met prisé et rare : on ne tue que six bêtes par corrida (et il n’y en pas plus de 200 par an), le calcul est vite fait. Si elles sont généralement réservées au vainqueur du jour, tous ne sont pas amateurs d’abats. « Je garde un souvenir un peu surréaliste de la seule fois où j’ai cuisiné des couilles de taureau, reconnaît Pierre Gagnaire (et il était un peu tard dans la nuit !). J’étais perdu face à un produit que je n’avais jamais préparé. Je les ai faites braiser avec des épices, de l’orange, un peu de rhum et du gingembre râpé. C’était hautement expérimental… et c’était bien meilleur le lendemain, servi froid ! Mais, que je prépare des couilles ou autre chose, je laisse aux autres le soin de goûter et de juger ma cuisine. »