Le gouvernement pense réguler (mais comment ?) l’accès aux sites pornographiques. La CNIL et l’ARCOM vont présenter dans la semaine à venir un dispositif pour empêcher les mineurs d’y accéder. Notre chroniqueur, à qui rien de ce qui est érotique n’est étranger, et qui s’est jadis ému lui-même des dégâts de la « société pornographique », fait le tour de la question.
Dans Le Figaro, c’est une psychologue, Sabine Duflo, qui s’inquiète : « L’âge moyen du premier visionnage d’images pornographiques est de dix ans aujourd’hui, contre quatorze ans en 2017. Un tiers des enfants de douze ans ont déjà été exposés à des images pornographiques. Chaque mois, près d’un tiers des garçons de moins de 15 ans visite un site porno. » [1] Et de citer le rapport établi par quatre sénatrices, Porno, l’enfer du décor.
Encore un (mauvais) coup de Pfizer
J’ai jadis moi-même écrit un livre sur la question, La Société pornographique (2012). J’y déplorais déjà le fait que, comme le dit Sabine Duflo, les premières relations sexuelles se fassent sous l’injonction de la pornographie — et se passent très mal. Entre les garçons pré-traumatisés parce qu’ils correspondent rarement au pseudo-standard de taille établi par des hardeurs sélectionnés (il y a jusqu’à 25% de cas d’impuissance chez les moins de 25 ans), et les filles en attente d’étreintes majuscules (faites rimer l’adjectif avec ce que vous voulez), il n’y a que des déceptions. J’avais eu l’occasion d’en parler chez Laurent Ruquier (voir vidéo plus bas).
Ça alors, le sexe sur Internet fait les affaires de Pfizer…
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Rappelez-vous. Quand on a mis au point le Viagra, Pfizer (ils sont partout !) a sollicité le vice (c’est le cas de le dire)-président des Etats-Unis, Bob Dole, pour faire la publicité de ce produit pour vieillards en libido défaillante. Aujourd’hui, les stimulants sont majoritairement consommés par des hommes jeunes, en (qué)quête de performances: on a vu sur Internet les prouesses de tel ou tel hardeur, on veut l’égaler, le surpasser, le con / fondre. Et on se détruit.
D’autant que les acteurs pornographiques trichent eux-mêmes, consomment des produits divers et variés, s’injectent de la papavérine dans la verge, — et, le soir, rentrant chez eux, rêvent d’un pot-au-feu, d’un livre et de plantes vertes. Surtout pas de femmes. Les hardeuses, saturées d’érections maximalistes, sont lesbiennes pour la plupart. Les uns et les autres connaissent un taux de suicides sans commune mesure avec les statistiques générales. À ne plus exister que par la cheville ouvrière ou quelques réceptacles, on cesse d’exister en soi et pour soi. Comme dit un site spécialisé : « Non, le porno n’est pas glamour. »
Tout est faux dans le sexe sur Internet. Tout est joué.
Des intérêts XXL
Il y a quelques années, j’avais suggéré au ministère de l’Education de me confier une mission pour me rendre dans les lycées, escorté (si je puis m’exprimer ainsi) d’une professionnelle du hard, afin d’expliquer aux jeunes ce qui est normal, et ce qui ne l’est pas. Hé non, mesdemoiselles, vous n’êtes pas obligées de vous faire sodomiser, d’autant que statistiquement, il n’y a guère que 15% des femmes qui y trouvent un réel plaisir. Et oui, l’acte sexuel quasi absent des sites pornographiques, c’est le baiser.
On mesure l’écart entre fiction et réalité.
Plusieurs pays (la Chine, oui, mais aussi l’Islande) ont complètement banni la pornographie. Ce n’est pas très difficile à faire — mais on froisse alors des intérêts monstrueux : quand on évoque le chiffre d’affaires de la pornographie, on parle en centaine de milliards de dollars (vous remarquerez que le cul se mesure en dollars, c’est plus chic qu’en euros ou en zlotys. L’idée de réguler l’accès des sites aux mineurs (mais comment ? Sur déclaration préalable ? Ça existe déjà, il suffit d’affirmer que l’on a plus de 18 ans) est l’exemple-type de ces demi-mesures qui servent à faire parler, et n’ont aucune efficacité réelle.
Près de la Canebière, Brighelli: c’est plus fort que toi
On me dira : « Il est étonnant, de la part d’un individu qui a écrit des livres érotiques, et qui parraine depuis des années un blog intégralement con / sacré à la chose, d’en arriver à promouvoir la censure la plus stricte… » Oui : mais c’est justement en défense de l’érotisme que je récuse la pornographie. On peut abominer la pornographie et adorer le sexe. On peut tolérer la prostitution et vomir les barbeaux. L’un des bons souvenirs de ma vie est d’avoir cassé, contre la margelle de la fontaine des Danaïdes à Marseille, toutes les incisives d’un proxénète qui prétendait mettre deux amies d’enfance en coupe réglée. L’idée qu’il a avalé de la purée liquide à la paille pendant quelques semaines me fait encore rire, cinquante ans plus tard.
La Dépêche a fait la liste des propositions de la CNIL [2], et émis avec intelligence des réserves sur leur application. Oui, on peut passer par une « attestation numérique » qui fonctionnerait comme une attestation bancaire : mais comment faire appliquer une législation française à des sites pour la plupart localisés à l’étranger ? Internet, c’est la mondialisation supra-nationale. Oui, on peut confier le contrôle de l’identité à un organisme tiers — mais des modes de contournement existent déjà. Après tout, les sites de streaming ont contourné sans peine la loi Hadopi de 2009, censée protéger la création et la diffusion sur Internet.
Seul un blocage total aurait une réelle efficacité : tout le monde n’a pas envie de se risquer sur le DarkNet, qui est certes opaque, mais qui est scruté de près par la police. Je mesure bien le risque d’une telle proposition : c’est requérir les bons services de Big Brother. Mais quand ce seront vos enfants qui hanteront les sites pornographiques grâce aux smartphones que vous leur aurez achetés (et que vous ne devriez pas leur acheter), vous y réfléchirez à deux fois avant de crier à, la censure.
Jean-Paul Brighelli, La Société pornographique, François Bourin / Les Pérégrines 2012, 130p.
[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/regulation-des-sites-pour-adulte-comment-la-pornographie-aliene-des-generations-entieres-20230208
[2] https://www.ladepeche.fr/2023/02/07/pornographie-5-questions-sur-le-nouveau-dispositif-pour-bloquer-lacces-des-sites-aux-mineurs-10979138.php