Quelques jours après s’être retrouvés à Paris puis à Davos, les grands de ce monde se sont succédé au chevet de la gérontocratie saoudienne, gardienne des lieux saints de l’islam et plus affaiblie que jamais.
Tout change mais rien ne change à Riyad. Certains observateurs avisés ont noté que la mort du Roi Abdallah était un non-événement. Il y a bien longtemps que le successeur de Fahd a quitté la scène politique. La nomination du ministre de l’intérieur comme futur héritier, le jeune Ben Nayef (seulement 55 ans!), s’avère plus notable que l’avènement de Salmane et Moqren, déjà âgés.
La monarchie saoudienne semble solide parce qu’elle est par nature ancrée dans la structure tribale du monde arabo-musulman. Mais la monarchie n’échappe pas aux luttes de partis, aux coteries et aux intrigues de cour. Les descendants d’Ibn Saoud sont tellement nombreux que les luttes d’influence entre les différentes branches du conseil d’allégeance paralysent toute évolution substantielle du royaume. Puisque la loi salique ne s’applique pas, chaque clan mène sa propre politique. Mais en matière de liberté d’expression, c’est l’unanimité. Arrêté par une justice saoudienne qui n’a rien à envier à l’Etat islamique, un blogueur saoudien, Raef Badawi, attend toujours ses coups de fouet dans une geôle royale.
Ces dernières années, ce régime immuable a lutté de toutes ses forces contre les velléités de renouveau portées par le printemps arabe. Il a finalement réussi à endiguer la vague puissante des Frères musulmans venue de Doha et du Caire. Mais la priorité est au combat contre l’influence croissance de l’Iran. De ce point de vue, le bilan de la monarchie wahhabite se révèle nettement moins favorable. Non seulement l’Iran s’est rapproché de son plus proche allié, les Etats-Unis, mais les réactions saoudiennes contre les ingérences chiites en Irak, en Syrie et au Yémen ont toutes échouées. Le seul succès de la « diplomatie » saoudienne a été obtenu par la force, par la répression sanglante des révolutionnaires chiites de Bahreïn.
À l’échelle régionale, en jouant les djihadistes contre les chiites, l’Arabie saoudite a fini par être encerclée par ces deux forces ennemies. Le Premier ministre chiite Maliki parti, Abadi lui a succédé à Bagdad. Après trois ans de politique du pire, les ambitions de l’Etat islamique obligent l’Arabie saoudite à revoir sa politique en Syrie. S’appuyer sur les djihadistes pour évincer Assad a été suicidaire, et à force de jouer avec le feu, Riyad commence à se brûler les doigts, comme l’a mrouvé la mort d’un général saoudien à un poste-frontière attaqué début janvier par Daech.
Au Yémen, le lâchage fin 2011 d’Ali Abdallah Saleh, chef d’Etat chiite d’obédience zaydiste mais assez coopératif, amène aujourd’hui Riyad à un choix impossible: les milices houthis soutenues par l’Iran ou Al-Qaïda ? L’encerclement chiite a longtemps été une peur obsidionale de l’Arabie saoudite. Mais ce scénario a été si maladroitement combattu qu’il a fini par se réaliser: sur sa frontière nord comme sur son flanc sud, l’Arabie saoudite doit se protéger derrière des clôtures infranchissables.
Un isolement stratégique qui tombe au plus mal car depuis de nombreuses années le Golfe perd des parts de marché en hydrocarbure au profit de l’Afrique, de la Russie de l’Amérique du Sud mais aussi de l’Amérique du Nord où de nouveaux gisements de schiste sont exploités. Pour casser cette concurrence, les Saoud ont dû ouvrir les vannes.
De sorte que les fondements de l’alliance américano-saoudienne se délitent. Obama, beaucoup plus imperméable que son prédécesseur au lobby pétrolier texan, voudrait tirer les leçons du 11 septembre. Il connaît bien la culture musulmane et ne peut que se méfier du radicalisme wahhabite.
En un sens, la politique de pivot américain vers l’Asie est une manière polie de s’éloigner un peu plus de cette ploutocratie vieillissante et largement incapable de faire évoluer le Moyen-Orient dans la bonne direction.
*Photo : Uncredited/AP/SIPA . AP21682907_000002.
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