Si j’acceptais d’apparaître en public en short satiné, maillot bariolé et chaussettes montantes, si je passais mes loisirs à courir dans des stades en portant les couleurs de Castorama ou de William Saurin et si j’avais renoncé à envisager sexuellement l’autre moitié de l’humanité pour préférer l’amour de mes semblables, en deux mots, si j’étais footballeur homosexuel, j’avoue que j’éprouverais une certaine réticence à disputer un match contre une équipe de musulmans pratiquants.
Le dimanche 4 octobre dernier, une rencontre qui devait opposer le Paris foot gay au Créteil Bébel a été annulée. Les gays parisiens, dont on dit un peu vite qu’ils n’aiment pas les femmes alors qu’ils s’attachent à leur épargner toute forme d’enfer conjugal, qu’ils ne les voilent ni ne les violent et nulle part dans le monde ne les lapident, ont appris par courriel que le match n’aurait pas lieu, le nom de leur équipe ayant incommodé les mahométans de banlieue.
Je m’étonne que les plus gênés de l’histoire soient les musulmans car au risque de passer pour islamophobe, si j’étais homosexuel, j’aurais quelques raisons d’hésiter à jouer avec des hommes qui, par leur croyance, n’ont pour moi pas le moindre respect. Je crois bien que le sort réservé aux gays en terre d’islam, les persécutions et les exécutions publiques devant des foules réjouies, les prêches d’imams me comparant à des animaux répugnants gâcheraient mon plaisir à pratiquer un sport avec des partenaires attachés à cette culture-là.
Si j’étais homosexuel et footballeur, l’histoire récente de ces deux jeunes filles lesbiennes d’Epinay sous Sénart, chassées de leur quartier par les injures, les crachats et les coups, contraintes de fuir une de ces cités transformée en enclave islamique dans notre République laïque, m’inviterait à réfléchir avant de consentir à jouer au ballon avec ceux qui cautionnent de telles discriminations. Le calvaire des gays en banlieues, de ces hommes et femmes obligés de vivre cachés, de raser les murs pour éviter les ennuis ne m’aiderait pas à rentrer dans le jeu avec ceux qui pratiquent et revendiquent une telle intolérance à la diversité.
Si j’appartenais à un club de football gay, j’aurais peut être eu du mal ce dimanche matin du 4 octobre, à respecter un engagement sportif plutôt que de rester au lit avec mon amoureux. Je me demande si je n’aurais pas été tenté de renvoyer à mon entraineur ma carte de membre actif ou passif pour avoir eu l’idée de m’envoyer jouer dans un quartier où le Moyen Âge règne sur les esprits mais pas celui de l’amour courtois, et où les Porsches des mâles dominants côtoient sur les parkings les Clios calcinées des gens sans défense.
Je dois le reconnaître, je ne suis pas aussi confiant que les footballeurs homosexuels dans les vertus de l’échange, du dialogue et de la politique de la main tendue pour abolir les préjugés ou surmonter les croyances qui font que les uns refusent aux autres le droit d’exister.
Je n’ai pas cette générosité, cette grandeur d’âme et cet amour de mon prochain pour croire qu’une rencontre avec celui qui a priori ne vous respecte pas est de nature à le convaincre que vous pouvez être respectable et même aimable. Voilà pourquoi j’éprouve une profonde estime pour les membres du football club gay de Paris qui ont su mobiliser leurs sentiments les plus élevés et faire taire leur méfiance quand ils ont acceptés de rencontrer ceux du Bébel Créteil.
Je pense à leur amertume quand ils ont appris que ces derniers, en tant que musulmans pratiquants selon les termes du responsable du club, refusaient un échange que leur religion interdit. « Désolé, mais par rapport au nom de votre équipe et conformément aux principes de notre équipe, qui est une équipe de musulmans pratiquants, nous ne pouvons jouer contre vous, nos convictions sont de loin plus importantes qu’un simple match de foot. »
Les réactions qui ont accueillies cette décision ont été diverses et variées. La Halde marche sur des œufs pour ne stigmatiser personne et s’étonne que des discriminés puissent être discriminants. Le responsable du club musulman a d’abord défendu sa position au nom de la liberté de penser, déploré qu’une fois de plus les musulmans passent pour les méchants et reconnu qu’il avait réagi un peu vite et qu’il aurait du demander leur avis aux imams. Imams qui sont restés prudemment silencieux comme souvent quand il s’agit de trancher entre les usages français et les commandements de leur religion de paix et de tolérance.
Mais ça, c’était avant. Aux dernières nouvelles, face à la réprobation générale et devant la menace de la fédération de football d’exclure les mauvais joueurs, le responsable du Créteil Bébel parle aujourd’hui de malentendu. « Nous avions renoncé à cette rencontre, non pas par homophobie, comme il nous est reproché, mais tout simplement parce que le nom de ce club ne nous semblait pas refléter notre vision du sport, qui est pour nous exempte de toute revendication communautariste, ethnique ou religieuse, ou liée à une quelconque orientation sexuelle. » Zahir Belgharbi explique donc que ses membres n’ont pas la phobie de l’homo mais du communautarisme, et rajoute que finalement, pour le match, c’est d’accord.
Pour résumer cette histoire, on avait d’abord cru que les stigmatisés de banlieue ne parlaient pas aux enculés de la capitale. C’était une méprise, voire un procès d’intention. En réalité, ce qui choque les footballeurs de ce club musulman, ce n’est pas l’homosexualité, c’est le communautarisme dans le sport et on peut supposer que si l’équipe proposée pour une rencontre avait été composée de femmes, de juifs ou de croisés, la réponse aurait été la même. Français et puis c’est tout !
Quand on vous dit que l’immigration, c’est une chance pour la France. L’honneur est sauf, la cohésion nationale et l’avenir du club aussi. On respire.
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