Ceux qui parlent encore de la pandémie y trouvent un prétexte pour critiquer le pouvoir excessif de l’État. Mais, il faut aussi regarder au niveau supérieur, analyse Jeremy Stubbs.
Vous vous souvenez de la pandémie ? C’était l’époque où on nous disait que tout serait différent : on travaillerait chez nous la plupart du temps ; les magasins disparaîtraient au profit de la vente en ligne ; et on voyagerait si peu désormais que le réchauffement climatique serait bridé… Oui, c’est bien oublié, tout ça.
Les États-Unis ont décrété la fin de l’état d’urgence induit par la pandémie le 10 avril, et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait de même le 5 mai. Ces mesures ont été accueillies, non pas avec un grand soulagement, mais dans une indifférence générale.
2020 = 1984 ?
Ceux qui parlent encore de la pandémie y trouvent un prétexte pour critiquer le pouvoir excessif de l’État. Certes, en Europe, en Amérique et ailleurs, nos États se sont arrogé des pouvoirs spéciaux sans rencontrer trop d’obstacles, et cela peut inquiéter. Certes, toutes les décisions prises n’ont pas été forcément les meilleures. On peut se poser des questions à propos de nombreux sujets :
- la nécessité de confinements aussi stricts, appliqués à toutes les catégories d’âge ;
- l’efficacité réelle des masques ;
- les informations dont on disposait à l’époque portant sur les possibles effets secondaires des vaccins ;
- ou la manière dont les contrats pour l’achat des vaccins avaient été gérés par les autorités publiques.
Ces questions sont parfaitement légitimes. Ce qui est difficile, c’est d’en tirer les bonnes conclusions. Croire que la solution aux problèmes soulevés par la gestion étatique de la pandémie consiste simplement à limiter les pouvoirs de l’État serait erroné. Car ce qui est en jeu n’est pas seulement l’autorité de l’État. C’est aussi l’influence sur l’État des entreprises multinationales et des organismes supranationaux. L’État – au moins dans sa version occidentale – a l’avantage d’être dans une certaine mesure démocratique, ce qui n’est pas nécessairement le cas de ces autres entités. Il faut donc que l’État reste suffisamment fort pour résister aux pressions exercées sur lui par la sphère commerciale et par des organisations qui se prétendent au-dessus de lui. De manière très significative, ces deux influences ont tendance à se conjuguer.
SMS Gate I et II
Considérons l’affaire des SMS qu’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a échangés avec le PDG de Pfizer, Albert Bourla, au printemps 2021, dans le cadre des négociations du troisième contrat entre l’UE et le géant pharmaceutique pour l’achat de vaccins. Ce contrat, d’une valeur de 35 milliards d’euros, a obligé l’UE à acheter 1,8 milliards de vaccins. Aujourd’hui, on constate que l’UE s’est procuré beaucoup trop de vaccins, dont certaines doses sont déjà périmées.
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Afin d’éclairer la manière dont ces vaccins ont été acquis, et de savoir où est passé tout cet argent versé par les contribuables des différents États-membres, le Parquet européen a ouvert une enquête en octobre 2022. En même temps, toujours au niveau européen, la Commission « COVI » sur la pandémie a convoqué Albert Bourla, afin de l’interroger, et ce, deux fois, en octobre et décembre 2022. Deux fois, le PDG de Pfizer s’est désisté. En février de cette année, le New York Times a saisi la Cour de justice européenne pour obliger Ursula von der Leyen à rendre public les fameux SMS. En avril, un citoyen belge a déposé une plainte pénale dans le même sens auprès du tribunal de Liège. Pour le moment, toutes ces tentatives pour tirer l’affaire au clair restent infructueuses. Ce qui rend cet imbroglio particulièrement glauque, c’est que le mari d’Ursula von der Leyen, Heiko von der Leyen, est un médecin qui travaille pour une entreprise, Orgenesis, impliquée, entre autres choses, dans le développement des technologies à ARN, utilisées pour des vaccins comme celui de Pfizer. Cette entreprise a aussi reçu de l’argent public en Europe. Bien que le couple von der Leyen ait été exonéré par la Commission européenne de toute forme de malversation, le soupçon d’un conflit d’intérêts potentiel ne peut pas être écarté. Outre-Rhin, une autre enquête avait été lancée, en 2019, concernant les actions de Mme von der Leyen en 2015 et 2016. A cette époque, elle était ministre de la Défense de son pays et gérait des marchés publics en négligeant, paraît-il, les procédures officielles d’appels d’offre. Cette enquête a buté elle aussi sur des SMS qu’elle avait envoyés dans ce contexte mais qui avaient disparu par la suite. Pour l’instant, il semble peu probable que l’UE tire toutes les leçons de l’affaire des SMS de 2021. Cette proximité entre dirigeants politiques et dirigeants industriels semble encore plus difficile à contrôler au niveau européen qu’au niveau de l’État, et s’exerce même au détriment du pouvoir des États-membres.
Le nouvel ordre mondial de la santé
Il y a une autre question qui devrait inquiéter les chefs d’État et au-delà de la seule Europe.
En ce moment, l’Organisation mondiale de la santé, cette OMS dont la gestion de la pandémie a été si critiquée, est en pleine révision du Règlement sanitaire international. Il s’agit d’un instrument de droit international qui régit les actions de l’OMS et les pouvoirs dont elle dispose à l’égard des États qui en sont membres. La version actuelle date de 2005. La nouvelle version devra voir le jour en mai 2024. Les différentes propositions dont délibère actuellement l’organisme supranational risquent d’étendre considérablement les pouvoirs de l’institution. D’abord, en élargissant la gamme des situations qui peuvent être considérées comme des pandémies et ensuite, en transformant les mesures préconisées par l’OMS, qui sont actuellement des recommandations, en des obligations pour les Etats-membres.
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Là encore, une certaine collusion entre l’organisme supranational et la sphère économique est à soupçonner. Car l’OMS est financée, non seulement par les contributions des États qui en sont membres, mais aussi par des dons d’entreprises, notamment des géants de l’industrie pharmaceutique, et des dons de particuliers – qui sont, bien entendu, des milliardaires. La contribution de Bill Gates, à travers sa Fondation, a constitué 13% du budget de l’OMS en 2016-2017 et reste depuis autour de 9 ou 10%. Seule la contribution de l’Etat américain est supérieure. Gates a des liens avec l’industrie pharmaceutique et utilise son influence pour promouvoir le recours aux vaccins. Voilà un beau conflit d’intérêts. La révision du Règlement sanitaire international pourrait bien se transformer en un coup de force pour l’OMS et ceux qui le financent en partie. Une fois de plus, les États pourraient bien se trouver coincés entre les instances supranationales et les entreprises multinationales.
C’est ainsi que le vrai problème de l’État, ce n’est pas tellement qu’il soit trop puissant ou impuissant. Le problème est qu’il est souvent fort là où il devrait être faible – par exemple, dans le contrôle qu’il exerce sur ses propres citoyens – et faible là où il devrait être fort – dans la maîtrise de ses frontières, ou dans la résistance qu’il oppose au lobbying des multinationales et à l’interventionnisme des organismes supranationaux.