L’épisode neigeux, comme disent les météorologues vient de prendre fin, et peut-être sera-t-il suivi d’un autre, bientôt. De cette mésaventure, paresseux et poussifs les journaux télévisés ont gavé ces oies qui les regardent. Mais aucun d’eux, si j’ai bonne mémoire, ne s’est fait l’écho de cet autre phénomène météorologique stupéfiant, qui accompagna la neige tombant sur notre beau territoire, je veux parler de ces avalanches d’injures qui se sont abattues sur nos mairies ou nos préfectures. A la mairie de Montreuil-sous-Bois, chaque jour, depuis une bonne semaine, les secrétaires des élus municipaux ne peuvent décrocher un téléphone sans voir tomber sur elles des tombereaux de mots orduriers. A en croire ces bonnes âmes, évidemment anonymes, qui hurlent au bout du fil, la municipalité ne fait pas son travail, elle ne déneige pas assez, ou pas assez vite ou même pas du tout.
Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous : les administrés se plaignent que des élus qu’ils ont élus, disent-ils (en réalité ils n’ont pas voté ou bien voté pour d’autres) ne diligentent pas dans la minute devant chez eux des employés agiles qui, pelle en main, viendront débarrasser leur bout de trottoir de cette neige qu’on n’avait pas sonnée. Les secrétaires impavides ont bien du mérite. Les pauvres, font tampon et y sont habituées : à longueur d’année, les courageux anonymes décrochent volontiers leur téléphone pour les agonir.
Sans doute aussi espèrent-elles, ces patientes secrétaires, carnet en main, prendre en note la plus belle phrase qu’on leur aura servie ; rentrées chez elles, ça les fera rigoler, c’est sûr. Et elles ont raison, car cette année, la neige fondue a découvert quelques prodigieuses perles. Tenez, je vous livre la plus belle, qu’on m’a rapportée. Mélodie S., la secrétaire d’une adjointe au maire avait à peine décroché son téléphone, stoïque, blasée, qu’elle entendit passer dans l’écouteur cette faramineuse envolée : « Du temps d’ l’ancien maire, connasse, y neigeait moins ! » Ça lui a coupé le sifflet, à Mélodie. Et les bras, comme disait Coluche, lui en sont tombés des mains.
Chaque peuple a sa bêtise et le comique – involontaire – qui lui sied. Je ne doute pas que des perles de même proportions, – neige en moins ou pas – on en pourrait trouver ailleurs, à Ouagadougou, Shanghai ou Bénarès. Mais mine de rien, une perle comme celle-là fleure bon le terroir. Il faut des générations de Français, pour en arriver là, n’en doutons pas. C’est l’esprit de Flaubert et de son dictionnaire qui souffle dans ces inattendus prodiges. Tenez, à nos amis du Sénégal ou du Liban qui nous lisent, je suggère qu’ils nous envoient quelques avatars locaux de cette manne inénarrable. On se sentira moins seuls, avec notre neige et notre bêtise.
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