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Après la corrida, le rodéo-poker

Le cirque est plein, c'est jour de rodeo


Après la corrida, le rodéo-poker
Premier rodeo à St Paul, en Oregon, depuis la pandémie, pour le week-end de la fête nationale, le dimanche 4 juillet 2021 © Jozie Donaghey/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22583228_000001

À la rédaction, nous n’imaginions pas que la corrida déchaînerait autant les passions…


Même si cette expression peut sembler banale, ce ne sont pas les (fidèles) commentateurs des forums de Causeur qui diront le contraire. Il faut parfois passer par une banalité pour atteindre la sagesse. Si vous ne l’aviez pas remarqué, la corrida fut bien le sujet du dossier du magazine du mois de juin. 

Selon une politique très savante, les articles de notre dossier spécial ont été mis en ligne et répartis tout au long du mois de juin sur le site, comme d’habitude. Amis anti-corridas, il ne fallait donc y voir nul complot, nulle ironie ou provocation vis-à-vis de vous. La rédaction ne se vêt pas tous les jours d’habits de lumière, par contamination de ce brûlant sujet. Le directeur adjoint, Jeremy Stubbs, par exemple, ne déboule pas dans les couloirs en agitant la veste de ses impeccables costumes telle une muleta bien taillée, et ne vient pas provoquer les innocents stagiaires, en brandissant les banderilles des articles à écrire, sous les olé du reste de l’équipe. Il ne se montre menaçant que lorsque le stagiaire en question a fini de boire tout le café sans en refaire.

On ne change pas

Revenons tout de même à notre sujet premier, cette passion déchaînée autour du thème de la corrida. L’affrontement avec le taureau, en ce qu’il symbolise la nature sauvage, indomptée, primordiale, est inscrit au cœur de nos gènes. Dumézil le rattache à la troisième fonction indoeuropéenne, celle de la fertilité, aisément liée à la puissance virile [1]. La vénération de cet animal et de ce qu’il représente est ancienne. On la retrouve dans diverses cultures, de l’Indus à la Méditerranée en passant par l’Anatolie. Les spectacles d’affrontement avec le taureau sont même antérieurs à l’actuelle corrida. De saisissantes fresques de Cnossos, datées d’entre les XVIIIe et XVe siècles avant J-C, nous révèlent les passes effectuées par des « danseurs aux taureaux ». Au centre, un taureau à la puissance évidente charge des jeunes gens qui l’entourent en dansant gracieusement, quand soudain, l’un d’entre eux le survole d’un saut périlleux.

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Malgré les oripeaux nouveaux de la modernité, le caractère de l’homme n’évolue que peu. Il faut lire notre magazine pour réaliser à quel point la corrida est liée à la religion et est, par essence, anti-moderne. Culture, culte, danse : encore aujourd’hui les spectacles où l’on retrouve des taureaux procèdent de ces éléments. Les différentes aires culturelles ont adapté ces élans propres à notre nature chacune à leur manière. Les Crétois dansent, les Basques courent, les Landais sautent et les graves Espagnols mettent en scène la mort du taureau. Mais quelle est la réaction du peuple américain, phare de l’univers, face à cette scène primordiale ?

La corrida made in USA

Laissez-moi vous présenter le rodéo-poker. Je ne sais déjà plus comment j’ai pu vivre aussi longtemps sans connaitre cet art, mais je me souviens de sa découverte. Sa poésie m’a immédiatement et irrémédiablement happé.

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N’ayant pu obtenir un voyage tous frais payés à Houston (je devrais revoir ma convention), je me suis rabattu sur YouTube pour en savoir plus. Pas grave, la chose est tellement saisissante que l’arène numérique s’efface. Je m’imagine au milieu de la piste, sur le sable ratissé au petit bonheur, foulé par les pieds furieux des chevaux et des taureaux et marqué par les chutes des héros en Stetson. Mes yeux brûlent à la lueur des projecteurs. Mes oreilles sont emplies par la clameur de la foule, le beuglement du speaker, le mugissement des bêtes, le fracas des portails et, de temps en temps, les chocs sourds du taureau qui s’impatiente avant d’entrer en piste. Je pourrais presque renifler les odeurs des hot-dogs vendus à la criée ou de la Budweiser tiède. Laissez-moi vous faire le compte-rendu le plus fidèle de cette version yankee de l’affrontement magistral, originel et primordial entre l’homme et la nature.


Solennels, concentrés, revêtus d’un gilet de protection et d’un équipement très identifiable de cow-boy, les toreros du nouveau monde se retrouvent au milieu de l’arène, autour… d’une table de poker. Riche idée que d’avoir rassemblé en une seule les deux passions des desperados ! On se rend bien vite compte que cette partie de cartes va être difficile à jouer et qu’elle n’est qu’un prétexte à quelque chose de beaucoup plus stupide. 

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Un taureau passablement énervé et de stature tout à fait respectable profite soudain d’une porte courtoisement ouverte pour se ruer sur la piste de sable clair. Son arrivée suscite les cris de la foule, tandis que les joueurs redoublent de concentration autour de la table. Si l’animal est de bonne composition et tient à rentrer au plus vite dans sa loge, il charge sans discussion le tripot, avec plus  d’ardeur qu’une militante de la ligue de tempérance ! Parfois, il se montre plus rétif et il faut alors l’exciter d’une manière ou d’une autre. S’il déteste les clowns, on en fait courir un devant lui. Une autre tactique courante consiste à le provoquer en lui jetant son chapeau. Quoiqu’il en soit on finit par arriver au résultat souhaité : un taureau de 800 kg charge à toute vitesse le petit groupe d’hommes et une table en plastique.

L’enjeu, évidemment, consiste à esquiver l’animal au dernier moment. Comme dans la corrida, c’est ce qui procure ce grand frisson cosmique et permet l’accomplissement de l’humanité des acteurs, quitte à ce qu’ils sentent d’un peu trop près le vent de la course du bovidé ou son souffle chaud. 

J’en veux encore

Après un tel spectacle, il m’en fallait plus. 

Par la magie d’internet, j’ai rejoint une autre arène où l’on pratique le « toro totter ». Il s’agit d’un art tout à fait captivant, qui consiste à monter sur une balançoire et à esquiver les charges peu amènes du taureau, manifestement ennemi du plus enfantin des divertissements.

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C’est aussi apaisant qu’une réunion de copropriété houleuse, mais vu de l’extérieur on frôle là le génie. On pourrait croire ici qu’on renonce totalement à la symbolique mystique de l’affrontement de l’homme avec le taureau, et à toute la culture qui en découle. Il n’en est rien, et la scène nous apprend de plus l’importance de l’esprit d’équipe. Le moindre souci de coordination aurait des conséquences fâcheuses. Merveilleux à voir !


[1] DUMEZIL Georges, “Suovetaurilia” dans Les Mythes romains (TIII) : Tarpeia – Cinq essais de philologie comparée indo-européenne, Gallimard, 1947, p 117-158.



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est historien.

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