Il n’aura fallu que quelques jours après les dernières saillies diplomatiques d’un Laurent Fabius sur le départ pour qu’un collectif d’ambassadeurs à la retraite publie, dans les pages « Idées » du Monde, une tribune qui relève plus du tract politique que de l’analyse de la complexité moyen-orientale. Tout y est. Les approximations, les amalgames, les raccourcis avec pour effet le sentiment d’une présentation à charge contre Israël plus encore que contre les gouvernements israéliens.
Le point de départ du réquisitoire est cette « intifada des couteaux » que les auteurs attribuent à « la frustration et l’humiliation ressenties après près de cinquante ans d’occupation militaire et policière par Israël. Elles sont aggravées par les rumeurs concernant la récupération par les juifs du Mont du Temple ». Il faut sans doute comprendre qu’avant 1967 l’annexion jordanienne de la Judée-Samarie et égyptienne de la bande de Gaza ne constituait pas une occupation militaire et policière laquelle serait une spécificité israélienne, de « ce peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».
Trous de mémoire
Quant aux rumeurs sur la remise en cause du statu quo sur le Mont du Temple, les diplomates oublient – mais c’est le privilège de l’âge – que celles-ci ont été fermement et officiellement démenties par le gouvernement israélien dès le mois de juillet 2015, soit deux mois avant le début des violences. Ces rumeurs, les Palestiniens en raffolent. En 1929, déjà, 85 juifs étaient tués et 150 autres blessés dans des émeutes arabes à Safed et à Hébron : des rumeurs avaient laissé entendre que les juifs s’apprêtaient à détruire la mosquée d’Al-Aqsa.
Osons une autre explication : ces violences n’expriment pas tant la « frustration et l’humiliation » que la volonté tant du Hamas que de l’Autorité Palestinienne de ne pas faire aboutir de solution de paix avec Israël, les « intifadistes au couteau » espérant sans doute que le pays connaîtra bientôt le même chaos que son voisin syrien. Car pour eux la paix avec Israël signifierait aussi la fin des subsides iraniens et des pays du Golfe.
Pour les signataires de la tribune, la cause exclusive de ce bourbier semble être Israël : « Depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin en 1996 [en fait 1995, ndlr], aucune perspective de paix n’a abouti. Un statu quo perdure, qui cache une mainmise sans cesse accrue par Israël sur la portion de Palestine concédée aux Palestiniens depuis 1967 ». Ils oublient, là encore, que depuis 1996 deux offres de paix ont été faites par les Israéliens et rejetées par les Palestiniens. Deux offres immanquables mais manquées quand-même. Celle de Barak en 2000 et celle d’Olmert en 2008. Deux refus pour deux propositions qui prévoyaient pourtant le retour aux lignes d’armistice de 1949. Tout ça pour ça.
Mauvaise foi
Et la charge continue, peu importe la mauvaise foi : l’annexion de Jérusalem-Est (occupée de 1948 à 1967 par la Jordanie sans que cela ne les émeuve et passée sous souveraineté israélienne suite à la guerre des Six-Jours perdue par les armées arabes. Quand on perd une guerre qu’on déclenche, la discrétion s’impose), la construction d’un « mur spoliateur » (qui a permis, ne leur en déplaise, de faire chuter de façon significative les infiltrations terroristes de Cisjordanie), l’installation de « 650 000 colons » (plus proche de 570 000 dont 370 000 sur les terres sous contrôle israélien tel que prévu par les accords d’Oslo), « l’enfermement de Gaza » (pour mémoire, le point de passage de Rafah est contrôlé – et la plupart du temps fermé – par l’Egypte et non par Israël). Rien n’arrête le collectif. Pas même les pires poncifs qui frôlent dangereusement l’antisémitisme le plus rance : « l’ombre de la Shoah » qui « inhibe » l’Europe et la « puissance des lobbies »…
Les mêmes s’impatientent en prétextant que l’initiative d’une conférence internationale voulue par Laurent Fabius est rejetée a priori par Israël. On se demande bien pourquoi. Sachant que la France reconnaitrait ipso facto la Palestine en cas d’échec des négociations, les motivations des Palestiniens en vue d’un accord paraissent bien ternes. Mais qu’importe, tout y passe.
Les diplomates convoquent de Gaulle et sa politique en pointe « pour une solution de droit entre Israël et la Palestine », c’est-à-dire en réalité une politique pro-arabe qui a clairement débuté par un embargo sur les armes à destination d’Israël le 2 juin 1967, soit trois jours avant le début de la guerre des Six-Jours. Cette politique pro-palestinienne, maintenue depuis lors, n’est finalement que la continuité de la longue tradition antisioniste, quand elle n’était pas crassement anti-juive, de nombre de diplomates du Quai d’Orsay.
Sans oublier bien sûr l’incontournable – mais illégal – appel au boycott et l’accusation ultime contre Israël de mener une politique d’apartheid. On a le droit de critiquer la politique d’un gouvernement mais cela n’interdit pas d’être honnête. Alors, rappelons-leur – même si cela déplaît – qu’Israël est un Etat démocratique dont les citoyens, quelle que soit leur nationalité, couleur, religion, idées politiques, orientation sexuelle disposent des mêmes droits.
Les Arabes, les druzes, les chrétiens israéliens ont le droit de vote, sont députés, juges, hauts-gradés dans l’armée, acteurs, chanteurs, travaillent en Israël, ont le droit de se marier avec des Israéliens de toutes religions, peuvent s’exprimer librement au point de souhaiter publiquement le bombardement de Tel-Aviv par le Hamas même quand ils sont députés comme Hanin Zoabi. C’est un juge arabe, Salim Joubran, qui a condamné Moshé Katsav, ancien président de l’Etat d’Israël, à une peine de prison. Ce sont des Arabes israéliennes qui ont représenté Israël à l’Eurovision et au concours de Miss Monde. Combien d’exemples équivalents avec des juifs en Syrie, Jordanie, Egypte, Irak ? Aucun.
Et vanité
Le plus grand pêché des diplomates français, c’est la vanité. La conviction que le monde, et notamment le monde arabe, attend après eux pour s’organiser. A peu près justifiable entre 1919 et 1939, quand l’empire colonial français était le deuxième plus vaste du monde derrière le britannique, l’évidence diplomatique française a laissé place à un orgueil sclérosé.
A vouloir à tout prix prendre les décisions en lieu et place des intéressés, la diplomatie française contribue à déresponsabiliser les élites palestiniennes déjà bien trop habituées à un assistanat mondial entretenu par l’UNRWA et avec vice par leurs « frères » arabes qui se sont empressés, depuis 1948, de ne pas les aider. La paix n’éclot pas à l’ombre d’une déclaration unilatérale ni dans les boudoirs du Quai d’Orsay. Depuis le temps, on le saurait.
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