Des sauveteurs ? En fait il faut parler d’un seul sauveteur, toujours le même, néanmoins connu sous plusieurs noms : il s’appelle Salam Daher dans certains commentaires de l’Associated Press, mais aussi Abu Shadi Jradi dans un autre reportage de l’AP ou encore Abdel Qader sur les images d’Al Jazeera. Mais quel que soit son nom, l’emploi du temps de l’homme au casque vert le jour du bombardement laisse perplexe. D’après la minutieuse remise à plat des clichés et des horaires de prise de vue menée par le journaliste britannique Richard North (elle est résumée en français ici et actualisée en anglais ici), en ce dramatique 30 juillet 2006, la mission de Green Helmet n’était pas de venir au secours des rescapés, mais de promener durant toute la journée deux petits cadavres, qu’il rangeait puis ressortait au gré des demandes des photographes – au nombre desquels on trouvait bien sûr le fameux photographe de choc de Reuters, Adnan Hajj.
Une mise en scène corroborée par le reportage tourné à chaud ce 30 juillet et diffusé le même jour par les reporters de la télé allemande NDR : on y voit Casque vert donner des ordres au caméraman et mettre littéralement en scène le reportage, n’hésitant pas au passage à extraire un des cadavres d’enfants de l’ambulance pour le disposer artistiquement sur un brancard au milieu des gravats, après avoir expliqué aux reporters : « On doit tourner de meilleures images ! »
A l’arrivée, les images seront bonnes : dans le monde entier, des centaines de millions de spectateurs les verront le soir même dans leur JT ou le lendemain matin à la une de leur quotidien préféré. Et mis à part les lecteurs du blog de Richard North et le public de la Norddeutschen Rundfunk de Hambourg personne n’imagine que ces images sont autre chose que la vérité vraie, brute de décoffrage.
Mais pendant ce temps à L. A., le webmaster fureteur et futé de Little Green Footballs ne chôme pas. Charles Johnson a été passablement énervé par les démentis indignés des agences de presse éclaboussées par le hoax de Cana. Depuis l’affaire, Reuters, l’AP et l’AFP crient sur tous les toits que leurs grands reporters et leurs photographes sont insoupçonnables (ça ne vous rappelle rien ?), qu’ils n’ont fait que leur travail en toute indépendance et que les ennemis de la liberté de la presse veulent porter atteinte à leur dignité. Alors il déniche et publie une note interne de l’Associated Press où l’agence félicite ses photographes à Cana, et notamment un certain Nasser Nasser, pour « cette série stupéfiante d’images qui a écrasé la concurrence cette nuit ! » D’abord la dignité, on vous dit…
Mais Johnson va plus loin : pour lui, la chasse à l’image qui va faire pleurer, et donc faire vendre n’est qu’une des dimensions de l’affaire, somme toute mineure. Le vrai problème, c’est la mainmise du Hezbollah sur la plupart des reporters présents dans les zones contrôlées par la milice chiite au Sud Liban pendant le conflit. Le département médias du Hezbollah assure la sécurité des envoyés spéciaux, organise leur travail, et naturellement, les aide à trouver les « meilleures images ». L’accord est win-win. On s’apitoiera dans les chaumières sur les atrocités commises par les bouchers israéliens et on aura une pensée pour le courage des intrépides reporters de guerre. Et bien sûr, contrairement à ce qui se passe pour les guerres d’Irak ou d’Afghanistan, nulle part on ne verra en surimpression sur les reportages des JT « Images réalisées sous le contrôle du Hezbollah ». Cherchez bien, vous êtes sûr que ça ne vous rappelle rien ?
Voilà donc pour ces histoires dont vous n’aviez sans doute jamais entendu parler. Et pourtant, elles gagnent à être connues ; c’est peut-être pour ça qu’on n’en avait jamais entendu causer…
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