Il y a beaucoup de choses à dire sur Apple, beaucoup de bonnes choses, s’entend. Je ne le ferai pas ici exhaustivement, car je risquerais de froisser les utilisateurs de Windows ou Android, qui, paraît-il, sont légion et, pour certains, heureux de leur sort. De plus, une telle démarche pourrait me faire apparaître comme unilatéral et moqueur, deux traits de caractère que je devrais atténuer, selon ma maman.
Je ne dirai donc rien sur les systèmes d’exploitation tout pourris de quelques centaines de millions de PC ou de smartphones, si ce n’est pour remarquer, avec feu le grand Steve Jobs, que la plupart de leur qualités – faut bien qu’ils en aient quelques-unes – viennent d’une copie rusée mais servile des OS ou du design du Mac ou de l’iPhone. Un comble dans un monde où les industriels ne cessent de se lamenter sur les ravages induits par la contrefaçon et où on nous explique chaque matin que porter un faux sac Vuitton est un quasi-crime contre l’humanité, alors qu’en vrai ce n’est qu’une banale faute de goût –moins répréhensible toutefois que d’en porter un vrai.
Pas de polémique, donc. Rien qu’une remarque amusée. Le cours de l’action Apple, très chahuté depuis septembre dernier, passant en quelques mois de 700$ à 450$ environ, a brusquement remonté hier de 2% et des brouettes. Pourquoi ? À cause de David Einhorn actionnaire très minoritaire, mais significatif (plus d’un million de titres tout de même). Einhorn est ce qu’on appelle plaisamment ici un investisseur, alors qu’il s’agit en réalité d’un spéculateur, une appellation que, contrairement aux gros balourds de la presse économique française, Einhorn ne récuserait pas lui-même : son fonds « activiste », Greenlight Capital, a assis sa réputation sur d’audacieuses et fructueuses opérations de vente à découvert. Rien d’illégal, ni même peut-être de structurellement amoral, mais on est loin de l’image d’Épinal de l’« investisseur » courageux qui confie toutes ses économies à Thomas Edison parce qu’il croit en l’avenir de l’ampoule électrique.
Or voilà-t-il pas que Greenlight a décidé de poursuivre Apple en justice, jugeant insuffisants ses efforts pour « rendre de la valeur à ses actionnaires ». En clair, l’actionnaire activiste voudrait que les Cupertino boys lui refilent une partie de leur trésor de guerre de 137 milliards de dollars. Car on l’ignore trop souvent, mais la plus belle entreprise du 21ème siècle a la particularité made in Steve Jobs de ne jamais distribuer de dividendes, ce qui normalement la met relativement à l’abri des pressions court-termistes de certains de ses « investisseurs ». La rumeur de Wall Street incline à penser que pour éviter la bagarre, Apple pourrait accepter de lâcher un peu de lest.
Une info qu’il faut rapprocher d’une autre, relayée cette semaine par toute la presse spécialisée : les conseils insistants de plusieurs cabinets d’experts new-yorkais – eux aussi un rien paniqués par la chute des cours – enjoignant Apple de changer de politique industrielle et de multiplier notamment les produits très grand public et bon marché.
À l’arrivée, que réclament les uns et les autres ? Décliner à l’infini des produits à la technologie déjà éprouvée, plus économes en R&D, donc plus immédiatement rentables, et des dividendes tout de suite pour les actionnaires. Bref ce que suggèrent ces gens-là pour Apple, c’est la méthode qui depuis trente ans a si bien réussi chez Peugeot.
Pas besoins de bolcheviks : les capitalistes sont parfois les pires ennemis du capitalisme.
*Photo : Rosso d’uovo.
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