La préfecture de police de Paris a signalé aux bouquinistes des quais de Seine se trouvant dans le périmètre de protection lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 2024 qu’ils devront retirer leurs boîtes « pour des raisons évidentes de sécurité ». Cinquante personalités des mondes universitaire, littéraire et artistique ont signé cet appel qui conteste la nécessité et le bien-fondé de cette décision.
« Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude » : cette réflexion de l’un des plus grands écrivains français du XXe siècle, Albert Camus, prix Nobel de littérature, n’a manifestement pas été assez prise en considération, ni méditée à sa juste valeur, par ceux qui, peu enclins à chérir, sinon à respecter, leur patrimoine culturel en ce qu’il a de plus historique, riche et populaire, gèrent aujourd’hui, en 2023, la ville de Paris !
Une funeste décision
Car comment comprendre cette funeste décision, de la part de l’administration de la Ville-Lumière (préfecture et mairie conjointes), selon laquelle les célèbres et anciens (leur existence a plus de 450 ans) bouquinistes des quais de Seine – la plus vaste librairie à ciel ouvert du monde et l’une des plus romantiques promenades parisiennes, inscrite au patrimoine culturel de l’humanité – devraient être expulsés et leurs fragiles boîtes démantelées (600 sur 950), pour de prétendues raisons de sécurité face à la menace terroriste ou la violence urbaine, lors des Jeux Olympiques de 2024 ?
Un symbole culturellement et moralement scandaleux
Le symbole, lorsque la culture est à ce point méprisée, et l’irremplaçable richesse des livres sacrifiée sur le très vénal autel du sport business, bien plus encore que d’un hypothétique « périmètre de sécurité », est choquant : scandaleux à l’aune de cette ville littéraire par excellence, sur sa rive gauche en particulier, de Notre-Dame à l’Académie Française, qu’est Paris !
Le risque de la faillite économique
C’est aussi tout un pan de la vie économique, par-delà la remise en question de ce que l’on croyait être doté d’un inviolable statut culturel, qui, avec la disparition programmée de ces antiques mais magnifiques boîtes à livres – disparition théoriquement provisoire : le temps de ces JO – qui risque ainsi de s’avérer dramatique, en pleine saison touristique, pour ces modestes bouquinistes, soudain privés ainsi, sans indemnités et jusqu’à une potentielle faillite économique, d’une importante part de leurs nécessaires revenus financiers pour simplement survivre.
#SaccageParis
Bref, et pour clore ce plaidoyer en faveur des bouquinistes de Paris, mais aussi, plus généralement, de la culture en ce qu’elle a de plus noble sur le plan éducatif, de plus élevé sur le plan moral et de plus précieux sur le plan historique : c’est l’inlassable et triste saccage de l’une des plus belles villes du monde – une destruction affreusement méthodique dans son obtuse permanence – qui continue ainsi, comme en des sortes d’hypocrites, lâches et quotidiens autodafés, son insidieuse, basse et coupable besogne !
Le sport et l’olympisme contre la culture
La loi olympique d’exception, votée afin de permettre d’exécuter ce qui est impossible en temps normal, est l’une des armes favorites de tous les affairistes désirant s’approprier l’espace public. La démocratie se retire alors, et la culture ensuite, quels que soient la ville et le pays d’accueil du barnum olympique, se voit promptement attaquée. Car l’intelligence des arts, qu’ils soient littéraires ou non, s’oppose au spectacle de l’industrialisation des corps sportifs qui ne visent que le rendement. L’histoire olympique en est émaillée de terribles exemples.
La statue de Voltaire déboulonnée
Il est vrai, pour couronner cette médiocre mais dangereuse entreprise de dégradation de l’intelligence, sinon de l’âme de toute une ville, que la Mairie de Paris a même été, il n’y a guère si longtemps, jusqu’à faire déboulonner, au prétexte de mieux la sauvegarder ainsi de possibles vandales, mais au mépris surtout de l’un de ses plus grands hommes de lettres et d’esprit, la statue, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, de l’insigne Voltaire, pourtant hôte immortel, à travers « la patrie reconnaissante », du Panthéon. Le paradoxe fut là, en cette autre tragique circonstance, à son incompréhensible comble : abattu à Saint-Germain-des-Prés alors même qu’il trône au Panthéon !
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Les lumières de Paris contre l’obscurité de la tyrannie
Morale, sous forme d’interrogation, de cette mauvaise histoire : combien de temps encore la France, réputée patrie des Droits de l’Homme et berceau des Lumières, bradera-t-elle aussi honteusement son inaliénable et bel esprit de liberté, sans lequel il n’est point de démocratie qui vaille, contre les infâmes et périlleux défis – le terrorisme international et la violence urbaine – de la tyrannie la plus obscurantiste, sinon criminelle ?
De Camus à La Boétie : discours critique sur la servitude volontaire
Ne pas répondre, de toute urgence, à cette question critique, de manière sérieuse, constituerait, non seulement une insulte à la vigilante mise en garde d’Albert Camus, mais, de manière plus grave encore, symptomatique des veules abdications et autres pusillanimes renoncements de notre irrationnelle époque, un dangereux, voire complice, préalable à ce fameux Discours de la servitude volontaire tel que cet immense et docte esprit de la plus haute Renaissance que fut La Boétie l’énonça au faite de son humanisme le plus éclairé.
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Un appel solennel aux autorités compétentes : ne touchez pas aux bouquinistes ni à leurs livres !
Ainsi, nous, signataires du présent et solennel appel, demandons aux autorités compétentes, qu’elles soient administratives ou policières, de laisser les bouquinistes de Paris libres de pouvoir vendre leurs livres, à leur traditionnel et séculaire emplacement, sans qu’ils aient à déménager de ces lieux aussi prestigieux qu’historiques, durant toute la période de ces JO de 2024, comme pendant tout le reste de l’année.
C’est là un enjeu, l’un des plus nobles et sacrés qui soient, de civilisation face à la barbarie montante en ces temps troublés, y compris sur le plan politico-idéologique, par une croissante, inquiétante et parfois agressive, inculture !
SIGNATAIRES :
Daniel Salvatore Schiffer : philosophe, écrivain, directeur des ouvrages collectifs Penser Salman Rushdie et Repenser le rôle de l’intellectuel
Laurent Alexandre : docteur, auteur de La guerre des intelligences à l’heure de ChatGPT
Marc Alpozzo : philosophe
Dominique Baqué : philosophe, critique d’art
Stéphane Barsacq : écrivain
Véronique Bergen : philosophe, écrivaine
Marie-Jo Bonnet : historienne, écrivaine
Erick Bonnier : éditeur
Jeannette Bougrab : essayiste, ancienne secrétaire d’Etat à la Jeunesse et à la Vie associative
Jean-Marie Brohm : sociologue, professeur émérite des Universités
Pascal Bruckner : philosophe
Belinda Cannone : écrivaine
Hassen Chalghoumi : président de la conférence des imams de France
Sophie Chauveau : essayiste, écrivaine
Nadine Dewit : artiste-peintre, photographe
Jean-Philippe Domecq : romancier, essayiste
Emmanuel Dupuy : président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe
Luc Ferry : philosophe, ancien ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse
Danièle Fonck : journaliste
Renée Fregosi : philosophe, politologue
Elsa Godart : philosophe, psychanalyste
Christian Godin : philosophe
Dominique Jamet : écrivain, journaliste
Alexandre Jardin : écrivain
François Kasbi : écrivain, journaliste, critique littéraire
Arno Klarsfeld : avocat
Michel Maffesoli : sociologue, professeur émérite à La Sorbonne
Edgar Morin : sociologue, philosophe
Bruno Moysan : musicologue
Véronique Nahoum-Grappe : anthropologue
Eric Naulleau : écrivain
Fabien Ollier : directeur de la revue Quel Sport ? et des éditions QS
Mona Ozouf : philosophe, historienne
Michelle Perrot : historienne
Christiane Rancé : écrivaine
Robert Redeker : philosophe
Jean-Marie Rouart : écrivain, membre de l’Académie française
Elisabeth Roudinesco : philosophe, historienne
Stéphane Rozès : essayiste, politologue
Emmanuel Rubin : journaliste, rédacteur en chef du magazine « Gestes »
Frédéric Schiffter : écrivain
Jacques Sojcher : philosophe
Annie Sugier : présidente de la Ligue du Droit International des Femmes (association créée par Simone de Beauvoir)
Pierre-André Taguieff : philosophe, historien des idées, directeur de recherche au CNRS
Patrick Vassort : sociologue, directeur de la revue Illusio
Alain Vircondelet : écrivain, universitaire
Olivier Weber : écrivain, grand reporter, ancien Ambassadeur de France
Elisabeth Weissman : essayiste, journaliste
Jean-Claude Zylberstein : avocat, éditeur, écrivain
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