L’arrestation pour apologie du terrorisme de l’ex-candidat de la France insoumise, Stéphane Poussier, n’est pas qu’un « dérapage ». Pour l’historien, Philippe Fabry, cette convergence entre une certaine gauche et l’islamisme marque une tendance de fond qui pourrait faire de « l’islamo-gauchisme » le communisme du XXI° siècle.
Les actes terroristes qui ont ensanglanté l’Aude ces derniers jours ont montré, dans toute sa crudité, l’ignominie de la convergence entre l’extrême gauche et l’islamisme, lorsque Stéphane Poussier, ancien candidat de la France insoumise, s’est félicité de la mort du lieutenant-colonel Beltrame, par haine gauchiste du flic. Cette apologie d’un acte de terrorisme islamiste par un représentant du vieux gauchisme ne saurait être réduite à un comportement isolé, un dérapage individuel. Il s’agit au contraire de la manifestation d’une évolution profonde du paysage politique français, qui voit peu à peu se structurer une idéologie à la vigueur dangereuse, un parti de la haine de la civilisation occidentale.
Après la suppléante de François Ruffin qui défend le droit de pleurer les terroristes morts en martyrs, voilà l’ex-candidat Stéphane Poussier qui applaudit la mort d’un gendarme tué par un terroriste… Certains membres de La France Insoumise repoussent les limites de l’ignominie pic.twitter.com/0ZNzvS5zvf
— Arthur Berdah (@arthurberdah) 24 mars 2018
Le récent effondrement des partis politiques traditionnels en France a pratiquement effacé le clivage gauche-droite au profit d’une hégémonie du progressisme modéré et pragmatique de La République En Marche (LREM). On peut être un peu décontenancé face à ce nouvel état de fait et s’interroger sur l’évolution d’une démocratie non clivée.
Par expérience historique, une démocratie dans laquelle le clivage s’est estompé jusqu’à donner le spectacle d’une sorte d’unanimisme dans la modération ne constitue qu’un équilibre précaire, précédant une percée idéologique à gauche et l’apparition de nouvelles lignes de fractures.
Le consensus avant la tempête
La référence se trouve dans le tournant politique du début du XXe siècle. La période 1893-1902 est en France celle du consensualisme républicain : la crise boulangiste passée, la République est acceptée et consolidée. En 1893, les Républicains modérés obtiennent 279 sièges à la Chambre, et en 1898 en tiennent encore 254. Cette dernière chambre va porter la belle loi de 1901 sur la liberté d’association.
Les débats nationaux perdent en enjeu : la période est marquée par l’affaire Dreyfus qui, pour avoir fait beaucoup de bruit et laissé une trace durable dans la culture politique française, demeure un fait divers monté en épingle : rien de comparable avec les querelles des années 1870 sur la nature-même du régime.
Le premier quart du XXe siècle est marqué par un double mouvement remettant en cause cet unanimisme fondamental : la percée du socialisme et l’apparition du communisme marxiste-léniniste.
Le socialisme prend son essor en 1905, avec le regroupement des socialistes français au sein de la SFIO, un an avant que la CGT n’adopte la Charte d’Amiens, marquant la victoire du syndicalisme révolutionnaire au sein du mouvement ouvrier français – le syndicalisme recueille ainsi de nombreux militants déçus par le positionnement modéré de la SFIO des années Jaurès.
Cela change avec l’entrée en scène fracassante du communisme, à la suite de la révolution de 1917, dont le « succès » redonne une crédibilité à l’action révolutionnaire, crédibilité perdue dans notre pays depuis l’écrasement de la Commune de Paris : de nombreux militants révolutionnaires rejoignent la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) lors de la scission de la SFIO au Congrès de Tours en 1920. Le Parti communiste (PC) prend son indépendance et bouscule les socialistes – qui forment l’extrême-gauche de la IIIe République durant ses premières décennies – vers la droite, et du même coup les Républicains « radicaux » au centre, où ils sont toujours. Durant 70 ans, le Parti communiste sera l’aiguillon de la gauche française, représentant à son apogée un électeur français sur cinq.
La structuration de « l’islamo-gauchisme »
L’actuelle hégémonie de LREM correspond vraisemblablement à ce moment d’unanimisme pragmatique, et précède la percée à gauche – car c’est toujours de là que vient la radicalité nouvelle en matière idéologique – d’une nouvelle doctrine qui donnera le ton du débat pour les décennies futures, comme le fit le républicanisme durant le XIXe siècle et le socialo-communisme durant le XXe.
Il apparaît de plus en plus clairement que cette percée viendra du mouvement, encore confus mais qui se structure de jour en jour, qui est à juste titre appelé « islamo-gauchisme ». Il est une convergence de l’islamisme, spécifiquement de la doctrine des Frères musulmans, et du gauchisme occidental, rassemblant ce que l’on trouve de plus radical en matière de « féminisme » et « d’antiracisme ». Guillemets mérités, car ces nouvelles expressions de préoccupations politiques anciennes sont le produit d’une totale inversion de valeurs, où l’on défend le port du voile comme une liberté de la femme et la ségrégation raciale comme un droit des personnes « racisées », c’est-à-dire non blanches.
Ces positions radicales trouvent un écho dans les revendications de certains membres des populations musulmanes en Occident. L’on constate, sur les réseaux sociaux, la multiplication des vidéos d’AJ+, une chaîne du groupe qatari Al Jazeera, consacrées aux mouvances LGBT et à l’antiracisme, et dont le propos est toujours in fine de défendre le droit au port du voile et d’accuser les Occidentaux de racisme et d’islamophobie. Le Qatar est un sponsor notoire des Frères musulmans, et Al Jazeera leur est toujours favorable.
La convergence est donc de plus en plus totale entre les « social justice warriors », les guerriers de la justice sociale féministes et antiracistes, et les Frères musulmans dont la doctrine est contenue dans le livre de Sayyid Qutb, La justice sociale en islam. La synthèse est vraisemblablement assez puissamment révolutionnaire pour devenir une véritable tendance politique radicale dans les prochaines décennies, s’appuyant doublement sur l’intellectualisme de gauche et une clientèle électorale : hier les ouvriers, demain les musulmans.
Bien sûr, il s’agit là d’un phénomène global et non limité à la France, comme c’était le cas pour le communisme, et il faut se poser la question du centre de ce nouveau Komintern. Si le Qatar joue évidemment un grand rôle par ses médias, parions que l’URSS de l’islamogauchisme sera la Turquie d’Erdogan : ce dernier est précisément arrivé au pouvoir en opposant la « liberté démocratique » de porter le voile et de prôner l’islam politique contre l’ordre laïque kémaliste. Aujourd’hui, ce Staline islamiste ordonne à la diaspora turque, et à travers elle à tous les musulmans d’Occident, de refuser l’assimilation au nom des mêmes principes. Et l’on voit, sur le plan intérieur, où mène son idéologie.
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