Invitée à quitter Paris quelques jours pour les plages de Normandie, je décidai de m’offrir un voyage complet, avec sandwich, bouteille d’eau et roman de gare, magiquement installée dans un wagon à compartiments – charme désuet d’une époque presque révolue. L’actualité internationale et son lot de nouvelles sordides resteraient à quai. Enfin, c’est ce que je pensais…
Je m’offris avec la naïveté de l’enfant devant le sapin de Noël un best-seller du genre « thriller ésotérique », tellement à la mode aujourd’hui qu’il monopolise les tourniquets des Relais H. Il s’agissait d’Apocalypse, d’Eric Giacometti et Jacques Ravenne, publié en poche par les éditions Pocket (Fleuve noir à l’origine) et tellement mis en avant sur les présentoirs qu’il semblait difficile d’y échapper.
Je n’avais jamais lu ces auteurs, dont une citation extraite du Point, en quatrième de couverture, m’apprenait qu’ils confirment « leur hégémonie sur un genre dont ils ont la paternité : celui du polar franc-maçon ». On pouvait également y lire : « Notre imaginaire est d’abord celui de la jeunesse, ce monde perdu où tout semblait possible. Nous avons tous besoin de retrouver, au détour d’une lecture, cette part mythique d’enfance et ce goût vital pour le merveilleux. »
[access capability= »lire_inedits »]Alléchée par la perspective de m’endormir doucettement sur la banquette, bercée par les paysages défilants, en dévorant un conte cruel né de la passion adolescente des deux auteurs pour le mystère de Rennes-le-Château – haut lieu du tourisme ésotérique en France −, j’espérais faire un grand voyage, sinon initiatique, du moins imaginaire au pays des brumes audoises, des démons sur les gargouilles d’églises désaffectées, des archanges de plâtre en prière muette sur d’antiques tombes et des secrets parcheminés qui traversent valeureusement les siècles.
Programme intrigant que ce « polar franc-maçon », doublé de la présence d’un personnage central, le commissaire Antoine Marcas, sympathique frère pétri d’idéalisme qui pérégrine de Jérusalem à Rennes-le-Château en vue d’empêcher la fin du monde dont le secret est tapi dans une esquisse de Poussin. Deux camps opposés se l’arrachent depuis des millénaires à grand renfort d’assassinats et Marcas doit la remettre à la survivante d’une famille juive spoliée pendant la Seconde Guerre mondiale, sa dernière propriétaire. Ce polar s’annonçait mieux écrit que les dialogues en corps 14 de Dan Brown, et plus rafraîchissant que les délires de ce maître des blockbusters conspirationnistes.
Poncifs anti-israéliens et manichéisme primaire
Las ! « Si tu ne viens pas à la politique, la politique viendra à toi », me souffla le Malin une fois le livre refermé. Qu’on en juge : deux confréries secrètes s’affrontent. Celle du Bien, héritière de Marie-Madeleine et de Jésus, abrite des hommes et femmes de bonne volonté, qui refusent toute discrimination fondée sur la race, la religion ou la culture et dont la vocation est de favoriser le retour du Messie. Celle du Mal, héritière de Judas, est incarnée par une minorité malveillante forte de ses prérogatives millénaristes et de son identité singulière, dont le but ultime est de provoquer une guerre nucléaire mondiale afin que son Dieu reconnaisse les siens.
J’ai navigué dans le flou organisé des discours anti-israéliens pour lesquels le nationalisme juif est un péché originel menaçant l’équilibre international. Que les amateurs de suspense me pardonnent de manger le morceau, mais à la fin du livre, la guerre mondiale menace, l’Iran ayant vitrifié Haïfa et Israël une bonne partie de Téhéran. Heureusement, Obama est là, le dernier des messies de l’Histoire, que ces criminels de Judéens (yehoudi en arabe, judio en espagnol, juifs en français, car historiquement descendants du royaume de Judas/Judée) n’auront pas eu.
Pas question pour autant d’attribuer aux auteurs un carton rouge pour antisémitisme ou antisionisme inconscients : l’un des membres de la confrérie magdalénienne est juif, mais pas Judéen, voyez-vous. Et quand Marcas atterrit à l’aéroport Ben-Gourion, il est juste surpris par les barbelés et la rudesse du commandant Steiner, personnage un peu brusque et nerveux à l’humour brut de décoffrage. Mais il est très bien reçu par ailleurs.
Ma conclusion est que les auteurs de polars les mieux intentionnés peuvent en transmettre les paradigmes les plus crapuleux indépendamment de leur volonté. À moins que je ne sois paranoïaque ?[/access]
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