Cette année, le Père Noël a été bon avec moi : il m’a apporté un bonsaï plutôt que le coffret The Best of Mordillat et Prieur. Dans ma lettre annuelle, après avoir bien précisé que j’avais été sage durant près de 365 jours, je l’avais informé que je révélerais sa non-existence au monde entier s’il s’avisait de me livrer un opus des deux larrons. Car Arte ouvrant régulièrement son antenne à ces deux artistes, et en général à Noël, il m’avait été donné de voir quelques-unes de leurs émissions sponsorisées par mes impôts (enfin, si j’en avais payé).
Un beau jour – ou peut-être une nuit –, j’avais eu l’occasion de regarder un passage de Corpus Christi. Toutefois, l’imminence d’un trajet routier m’avait convaincu du risque de prendre le volant sous l’emprise de ce visionnage que je m’étais, du coup, décidé à écourter.
Aussi, je ne m’étonnai guère de ressentir un certain manque de vigilance au bout de quelques minutes devant Les origines du christianisme, diffusé quelques mois plus tard. Mais les vertus du produit étant multiples, je découvris qu’il traitait aussi bien l’insomnie persistante que la paresse intestinale, et surtout l’aveuglement intellectuel. En effet, au delà d’une mise en scène d’une austérité calvinienne, je percevais comme un message subliminal qui m’invitait à apostasier dans les meilleurs délais. Je déclinai toutefois l’invitation…
Léglise fo kel arète 2 dir nimporte koi MDR!!!! : telle est globalement la thèse qui sous-tend cette « œuvre ». Au siècle dernier, Alfred Loisy, théologien soucieux de faire convoler en justes noces Dieu le Père et la déesse Raison fit scandale – et fortune – en écrivant : « Jésus annonçait le Royaume, et c’est l’Église qui est venue. » Du coup, Prieur et Mordillat ont immédiatement trouvé l’homme sympathique et, rien que pour se faire plaisir, ils lui ont consacré une hagiographie. Un webmarchand commence ainsi sa présentation de l’ouvrage consacré à Loisy : « Ouvrez ce livre, il fait peur. » Puisqu’on vous dit que ça sent le soufre ! Voilà ainsi la deuxième cause première de leur mission (la première cause première de tout étant, comme vous le savez, Dieu[1. Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia Q2 a3.]) : convaincre un monde trop crédule que des usurpateurs trahissent depuis vingt siècles la Bonne Nouvelle du Christ afin de maintenir les peuples dans l’ignorance crasse et les superstitions moyenâgeuses par la force et/ou par la ruse.
Concernant la forme, il faut saluer les infinies précautions par lesquelles nos deux artistes se prémunissent contre tout risque d’objectivité. S’inspirant tantôt de ces experts du pinceau qui retouchaient les photos des congrès de la IIIe Internationale au fil des épurations successives, tantôt de ces artistes du montage de texte qui, à partir d’extraits indubitablement découpés dans « Le songe d’une nuit d’été », composaient un truc comme ça : « ToN/FIls/cONtrE/1 MilLioN/d’€/ pRévIenS/lEs/fLiCs /eT/Il EST/MorT », nos deux réalisateurs ont su tirer profit des « merveilleuses avancées technologiques » en matière d’image, faisant preuve d’une dextérité qui ringardise ad aeternam les procureurs de toutes les inquisitions, de tous les procès staliniens, de tous les procès révolutionnaires.
Si les outils ont évolué, les méthodes sont les mêmes : on récolte des témoignages qu’on accommode en fonction de la thèse à démontrer. Lorsqu’on se hasarde à consulter un historien ou exégète un peu trop nuancé, on conserve quelques bouts de phrases, on les plonge hors de leur contexte, de façon à pouvoir en travestir le sens. Quoi qu’il arrive, les premières et dernières salves sont réservées à l’accusation. S’il y en a que ça gêne, ils n’ont qu’à zapper sur TF1 ! Ici, la vérité aura l’épaisseur d’une tranche de cornichon au milieu d’un Big Mac : ça suffit bien comme ça.
À propos d’herméneutique, on pourra constater que la méthode d’Arius est scrupuleusement appliquée : on isole une phrase afin de lui faire dire le contraire de l’ensemble du propos. Le principe d’exégèse suivant lequel le tout éclaire le particulier est balayé d’un revers de main. En outre, la lecture la plus stupidement littérale sera privilégiée : on feint d’ignorer la dimension théologique des récits pour monter en épingle le moindre épisode violant les codes de bonne conduite du camp du Bien et du Progrès
Voilà quelques unes des grosses ficelles avec lesquelles nos duettistes animent leur marionnette. L’intervention d’universitaires spécialistes en démontage d’Eglise apporte au documentaire une caution que bien peu osent contester.
Voilà donc pourquoi je ne me suis même pas donné de regarder plus d’un épisode et demi d’Apocalypse, le Mordillat-Prieur de l’année qui, une fois de plus, a doctement expliqué à quelques millions de Français catholiques et trois ou quatre douzaines de millions de sympathisants pourquoi ils étaient forcément liberticides et ontologiquement antisémites.
Maintenant, en ces temps de crise financière, peut-on faire la fine bouche devant la P.M.E. Mordillat, Prieur & Fils qui fait vivre une équipe de tâcherons du copier-coller vidéo ? Que nenni. Cependant, il serait sans doute judicieux de revoir le positionnement de leurs films dans le commerce : plutôt que de les placer dans le rayon religion des FNAC ou de la Procure, on ferait mieux de les merchandiser dans les boutiques de farces et attrapes, entre une valise de magicien et le petit moine qui, lorsqu’on lui appuie sur la tête…
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