Causeur m’a demandé de répondre aux interrogations et remarques de ses abonnés, que je remercie, d’avoir regardé, comme plus de six millions de personnes, Apocalypse Hitler sur France2 le mardi 25 octobre. Le débat fait débat, certainement, et je ne peux moi-même m’associer aux critiques sans me désolidariser des efforts de la chaîne, qui a dû l’organiser dans des contraintes de durée, ce que je regrette.
Je dirai que ces remarques, ainsi que celles de Patrick Mandon, sont de trois ordres.
Goebbels arrive en deuxième position dans les interrogations de nos amis (ils le sont vraiment, puisqu’ils lisent Causeur). En fait, ces questions renvoient à ce qui reste un mystère, contourné ou affronté par les historiens, sur le nazisme et Hitler. C’est la fameuse question de la poule et de l’œuf. Hitler a-t-il fait Goebbels (et le nazisme) ou est-ce l’inverse ? J’ai tendance à penser que les esprits mauvais se sont rencontrés et que de cette rencontre sont nés un régime et un chef (Führer) qui n’étaient, ni l’un ni l’autre, à la hauteur de la situation. Goebbels a d’abord compris tout le profit de l’utilisation de l’antisémitisme, la force obscure d’Hitler dans ses discours, comme il a sans doute, après, senti que tout cela allait mal tourner et que l’essentiel était alors de se servir de sa provisoire toute-puissance pour imposer sa frénésie sexuelle aux plus mignonnes actrices du cinéma allemand[1. Mais c’est un autre sujet…]. Il y a aussi chez tous ces types un penchant à croire leurs propres mensonges, jusqu’à la mort. Pour y voir plus clair, je conseille vivement de lire Kershaw, auteur de Le Mythe Hitler.
Les Allemands ont-ils été complices ? Mais peut-on être complice quand la Gestapo rôde ? Au début, beaucoup ont été dupés par la démagogie, ils ont voté pour lui et certainement apprécié le retour au calme, puisque le pompier pyromane étant au pouvoir, l’ordre a régné. Au départ, l’extravagance du régime, ses discours et ses oriflammes les ont plutôt fait sourire : les Berlinois, d’esprit caustique, disaient : « Nous serons bientôt tous sveltes comme Goering, sportifs comme Goebbels et blonds comme Hitler ».
Je crois que la troisième interrogation est la plus importante parce qu’elle porte sur la question finale : « Sommes-nous à l’abri d’un nouveau Hitler ? ». D’abord, les Hitler n’ont pas manqué, après 1945. Ils ont régné sur la malheureuse Russie, sur la Corée du Nord, sur le Vietnam ou le Cambodge. Ils sont toujours au pouvoir quelque part, massacrant comme au Rwanda ou opprimant avec toutes les Charia possibles. Mais les messages d’Isa et de Saul renvoient à une seule et même question : la peur. Peur de ce siècle qui vient, avec ses Hitler.
Je voudrais leur répondre en citant celui qui fut mon maître, et que je continue, trente ans après sa mort, de considérer comme l’esprit le plus important du XXème siècle : Gaston Bouthoul[2. Ses ouvrages les plus importants, dont je recommande la lecture urgente sont Traité de polémologie. Sociologie des guerres; L’infanticide différé; Le Phénomène-Guerre, Payot, Petite bibliothèque Payot, 1962, 283 p. (adaptation résumée du précédent).]. Quand je l’ai connu, et souvent filmé, il était l’un des patrons de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, et son analyse sociologique des guerres est toujours d’actualité. Bouthoul a dit : « La civilisation est une lutte contre la peur ».
En deux mots, Bouthoul est à l’opposé de Clausewitz, pour qui, on le sait, « La guerre est la continuation de la politique, par d’autres moyens ». Non, dit Bouthoul, la guerre est le produit de l’agressivité collective et des situations dites « belligènes » et s’invente des raisons a posteriori pour justifier les massacres.
J’ajouterais, pour simplifier, que l’homme des cavernes pour protéger sa famille serrée, terrorisée, autour d’un maigre feu, mais aussi pour se revêtir de sa fourrure, devait affronter l’ours un silex à la main. Essayez donc de tuer un monstre de deux tonnes avec un silex. Il vous faudrait une dose d’agressivité qui s’est transmise dans les gênes de toute l’humanité et qui vous fait injurier les autres conducteurs. Cette agressivité devient collective dans toutes les situations de surpopulation et de crises. C’est pourquoi Bouthoul considère la guerre comme une maladie, la maladie mortelle de l’humanité. Le seul remède, c’est la non-violence. Aucune raison, aucune, ne justifie une violence, qu’elle soit verbale ou criminelle comme celle dont nous menacent tous les Robespierre « révolutionnaires » c’est-à-dire, assassins.
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