La notion d’apartheid de genre, largement relayée par les médias et les grandes instances internationales, tend malheureusement à occulter la dimension religieuse, pourtant fréquemment au cœur de cette problématique.
Les alertes se succèdent et les défenseurs des droits de la femme en sont secoués. Enfin… pas tous.
Abou Mohammed al-Joulani, ancien d’al-Qaida en Irak, fondateur du Front al-Nostra, puis de Hayat Tahrir al-Cham, a connu des heures de célébrité en prenant le contrôle de la Syrie après le renversement de Bachar al-Assad… Il s’est alors rendu célèbre sous ce nom – al-Joulani – en devenant ce que certains chroniqueurs de chez nous appelèrent alors un « islamiste modéré ». C’était l’avènement d’une nouvelle espèce de résistant : « le jihadiste gentil ». Monsieur al-Joulani a changé de nom en devenant ministre des Affaires étrangères de son pays.
Il s’appelle désormais Ahmad al-Chareh. Ce changement de nom s’est popularisé ce 3 janvier 2025, lors d’une rencontre à Damas des ministres des Affaires étrangères. S’il a bien serré la main du ministre français Jean-Noël Barrot, il a refusé de serrer la main de Madame Annalena Baerbock, son homologue ministre allemande des Affaires étrangères. Son homologue… enfin, pas tout à fait car Annalena Baerbock est une femme et on ne va quand même pas demander à un ex-jihadiste, même « modéré », de s’asseoir sur les versets 187, 223, 228 de la sourate II, ou sur la sourate IV, Les femmes. Ils sont trop connus des croyants. Rappelons le verset 38 pour ceux qui n’auraient pas leur Coran sur la table de chevet : « Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci… » (IV, 38)
Moment de flottement à Damas
La séquence de ce refus de serrage de main est devenue virale et a été qualifiée par la presse de « moment de flottement ». Comprendre : « ce n’est pas grave ». On apprend aussi que les ministres avaient au préalable « validé le protocole » de la rencontre. Comprendre encore : on ne va pas demander à un jihadiste gentil de serrer la main d’une femme, fut-elle ministre.
« La diplomatie française et européenne est vraiment courageuse » pense Boualem Sansal dans sa cellule…
J’ai évoqué plus haut le texte sacré, le Coran. Oui, parce que je pense que tant que notre culture laïque, rationaliste, républicaine, nous tiendra éloignée du « fait religieux » nous stagnerons dans une ignorance de la « culture des autres ». Les laïques que nous sommes, tout en défendant bec et ongle cette laïcité, doivent bien comprendre que si nous avons rompu avec le religieux, d’autres de par le monde n’ont pas suivi ce chemin.
Qui, mieux que Régis Debray ce marxiste décillé, a expliqué cette évacuation du religieux par nos sociétés occidentales : « Parce qu’on se refuse à dire que Malraux avait raison et que Marx a eu tort de voir dans le religieux […] une vieillerie en voie d’extinction, dont le genre humain sera débarrassé… ». Après avoir évoqué la nullité en matière de religion des chefs d’État comme Georges Bush ou François Mitterrand, cet auteur ajoute « L’absence d’un cours d’histoire des religions à l’École nationale d’administration en dit long sur cette impéritie… ».[1]
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Cette impéritie que Debray soulignait dans un chapitre de son livre sous-titré « Du sacré en général – De la France en particulier », je la vois culminer le 17 juin 2024 dans cette déclaration d’Amnesty International :« Nous demandons la reconnaissance de l’apartheid fondé sur le genre en vertu du droit international pour combler une lacune majeure de notre cadre réglementaire mondial ». On tremble à la lecture de ce qui suit :« Le projet de convention sur les crimes contre l’humanité, une initiative majeure actuellement débattue à l’ONU, représente une occasion importante de dynamiser la lutte en faveur de la justice de genre. Les États membres de l’ONU doivent la saisir et intégrer l’apartheid fondé sur le genre dans le droit international, tout en recherchant d’autres possibilités, notamment auprès du Conseil des droits de l’homme, de consolider le concept.[2] » L’ignorance et l’impéritie évoquées plus haut culminent dans ces propos d’Amnesty International. Imagine-t-on l’ONU et Amnesty engager une conflagration mondiale avec le monde islamique, une lutte pour « la justice de genre » ? Faut-il comprendre que l’ONG rêve de réviser la parole de Dieu révélée dans le Coran ? de retoquer la charia ? de censurer les hadiths du prophète ? À l’idée que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et Amnesty partent en croisade contre le livre sacré et son contenu relatif à l’égalité homme-femme, j’imagine les gardiens de la révolution à Téhéran, les Talibans à Kaboul en train de se tordre de rire !
Petits chose du concept
Il est stupéfiant qu’à Amnesty International que l’on imagine sur tous les théâtres de conflits qui ébranlent la planète, il ne se soit trouvé personne pour avoir un jour eu l’idée de se renseigner sur le statut de la femme en islam en ouvrant le Livre ! Il y a près de vingt ans, Jean-Claude Michéa publiait son livre L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes.[3] Nous y sommes.
L’Europe, la France, sont pourtant riches d’une pépinière d’orientalistes, d’islamologues qui, d’Albert Kasimirski à Jacque Berque, d’André Chouraqui à Régis Blachère, ont mis à notre disposition de nombreuses traductions du Coran dont certaines disponibles en librairie a moins de 10 euros ! Comment expliquer qu’il ne se trouve pas un responsable d’Amnesty International pour demander à un stagiaire, après lui avoir glissé un billet de 10 euros, d’aller a la FNAC acheter un exemplaire et de faire une simple synthèse de « ce que dit le livre sur le statut de la femme » ? Ils y apprendraient, outre que le voile n’est pas un couvre-chef comme la coiffe bretonne ou le béret basque, que « l’apartheid de genre » est inscrit dans la lettre du livre sacré. Mais on ne peut pas demander aux féministes affligées par le sort de leurs sœurs afghanes ou Iraniennes de daigner lire un livre disponible depuis quatorze siècles.
En popularisant le concept d’« apartheid de genre », Agnès Callamard, la secrétaire générale de l’ONG Amnesty International, enrichit d’un néologisme ce que Romain Gary nommait la « littérature fumigène », le « langage suave » évoqué aussi par Philippe Muray. S’il ne s’agissait ici que de railler ces Petits chose du concept dont parlait Murray, on ne ferait qu’ajouter à la longue liste du politiquement correct qui régit la révision du langage. Les infirmes de mon enfance sont devenus des « personnes à mobilité réduite », il n’y a plus d’aveugles mais des « mal voyants », plus de sourds mais des « mal entendant » et plus de cancres mais des « mal apprenant ». Le ministère de l’Éducation a remplacé récemment le vocable si stigmatisant de « groupes de niveau », par « groupe de besoin », tellement plus suave…
On imagine qu’à Téhéran, à Kaboul, à Damas chez les « islamistes modérés », cette bombe atomique qu’est l’invention de « l’apartheid de genre » doit provoquer la terreur.
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[1] Régis Debray, D’un siècle l’autre, Gallimard, 2020, p 267
[2] La déclaration de la Secrétaire d’Amnesty se poursuit ainsi : « L’apartheid fondé sur le genre doit être reconnu comme un crime de droit international, en vue de renforcer les initiatives visant à lutter contre les régimes institutionnalisés d’oppression et de domination systématiques imposés pour des motifs liés au genre, a déclaré Amnesty »
[3] Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Ed.Climats, 2006.
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