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Les sortilèges portugais d’Antonio Tabucchi

Lire en été


Les sortilèges portugais d’Antonio Tabucchi
L'écrivain Antonio Tabucchi Photo: LEONARDO CENDAMO / Leemage via AFP

Lire en été: au hasard des bouquinistes, des bibliothèques des maisons de vacances, des librairies, le plaisir dilettante des découvertes et des relectures, sans souci de l’époque ou du genre.


Le Portugal est une utopie, un sortilège, un rêve. Il est à la fois baroque, latin, atlantique : c’est le pays de toutes les attentes et de toutes les nostalgies. Il a même inventé un mot intraduisible pour dire son rapport au monde : la saudade, une tristesse calme qui dit aussi le plaisir d’être triste, une nostalgie d’un avant incertain, une espérance d’un retour, peut-être celui du Cinquième Empire et du Roi Absent, peut-être celui de l’être aimé, peut-être celui de l’enfance, la sienne et celle du monde.

Tabucchi, le plus italien des Portugais… ou le contraire

Le Portugal invite à une littérature de l’intranquillité pour reprendre un terme de Fernando Pessoa, méconnu de son temps et devenu gloire nationale, Pessoa qui était à la fois personne et la multitude. Antonio Tabucchi (1943-2012) écrivain italien a découvert Pessoa à Paris en 1953. Tabucchi deviendra son traducteur en italien et sera toute sa vie fasciné par le Portugal, ce pays où les jeux de miroirs sur la Mer de Paille à Lisbonne au couchant et les torsades manuélines du couvent de Saint-Jérôme feront de lui un lisboète d’adoption au point d’écrire directement en portugais Requiem et dont il supervisera la traduction… en français et qui paraîtra en 1992 chez Christian Bourgois.

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« Si l’on me demande pourquoi cette histoire a été écrite en portugais, je répondrais qu’une histoire pareille ne pouvait être écrite en portugais. » déclare Tabucchi à propos de Requiem qu’il refuse d’appeler roman mais pour lequel il préfère le terme révélateur d’« hallucination » et dans lequel il raconte sa propre errance dans Lisbonne par un dimanche caniculaire de juillet, le jour le plus chaud de l’année.

Un merveilleux porto 1952

Il se souvient vaguement qu’il ne devrait pas être là d’ailleurs, mais plutôt endormi quelque part en Alentejo où il fait sa sieste dans le jardin d’une villa. Les personnes qu’il va rencontrer, en attendant un rendez-vous à minuit avec un maître mystérieux qui est en fait Pessoa lui-même, sont bien bel et bien réels même si certains d’entre eux sont morts depuis des années comme son ami Tadeus. Il revoit ainsi, dans la chambre d’une pension, son père en jeune homme, ou encore, après avoir bu un merveilleux porto 1952, Isabel, son amour disparu et jamais oublié. Finalement, à Lisbonne, pour qui sait se perdre, la vie et la mort ne sont plus des catégories réellement pertinentes.

Requiem est une errance initiatique, poignante et somptueuse, dont la clé est peut-être dans le détail d’un tableau de Jérôme Bosch, peut-être dans la prédiction de cette Gitane qui mendie à l’entrée du Cimetière des Plaisirs : « Écoute, me dit la vieille, tu ne peux pas vivre des deux côtés à la fois, du côté du rêve et du côté de la réalité, cela provoque des hallucinations, tu es comme un somnambule qui traverse un paysage, les bras tendus, et tout ce que tu touches commence à faire partie de ton rêve. »

Une horloge qui tourne à l’envers

Il y aurait sans doute une étude à faire de ce tropisme lusitanien chez certains artistes du vingtième siècle, comme si une manière de vérité était à trouver dans cette périphérie calme de l’Europe. Ainsi, en 1998, Requiem de Tabucchi sera-t-il magnifiquement adapté au cinéma par Alain Tanner, le patriarche du cinéma suisse qui lui aussi a été fasciné par Lisbonne comme labyrinthe de tous les possibles puisqu’il a donné de cette ville une de ses plus belles représentations avec Dans la ville blanche en 1983. On y voit ce plan inoubliable de Bruno Ganz, marin en rupture de ban, qui s’égare dans un café de l’Alfama et, tout en prenant une bière au comptoir, qui s’aperçoit que l’horloge au-dessus de la serveuse tourne à l’envers… Ce qui est un parfait résumé, en plus, de toute l’œuvre d’Antonio Tabucchi dont on recommandera aussi, entre autre, Nocturne indien et Pereira prétend.

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