Dans le sillage de Harari, Antoine Buéno dessine notre avenir. S’il écarte les scénarios apocalyptiques des écolos, il prédit l’avènement d’une nouvelle humanité augmentée et d’un système politique et social vertueux fondé sur l’intelligence artificielle. Dans cet avenir techno nous n’allons pas tous mourir, mais ça ne va pas être très marrant.
Antoine Buéno, spécialiste des utopies, avait jadis suscité la polémique avec Le Petit Livre bleu, essai consacré au village des Schtroumpfs (!), dans lequel il brossait le portrait surprenant d’une microsociété empreinte de nazisme et de stalinisme. Dans Futur, notre avenir de A à Z, cette alternative figure parmi les évolutions possibles de l’humanité et cela prête moins à sourire.
Énergie, alimentation, démocratie, génétique et même sexualité, l’ambition se veut large et impose le respect. Adossée à trois années de travail ainsi qu’à de multiples sources, voici sans dogmatisme la réflexion d’un honnête homme sur les défis que nous allons devoir nous colleter – enfin surtout nos enfants. Alternant les pistes optimistes et celles plus sombres, il expose avec clarté les profondes mutations dont nous vivons les prémices. L’une des grandes qualités du livre, sa hauteur de vue, peut également être regardée comme son principal défaut – celui de voir l’humanité comme un tout, sujet d’une histoire-évolution vouée à former une civilisation unique. Dans la lignée de Harari ou Pinker– dont il réfute au passage certaines thèses –, Antoine Buéno prédit un avenir commun aux nations : l’effacement. Ne pas partager cette conviction ne remet pourtant pas en cause la pertinence des questions soulevées par Futur.
Démographie et nucléaire
Les enjeux climatiques occupent évidemment une place importante, mais l’essayiste aborde sans fard les deux dossiers sur lesquels les écolos se ridiculisent avec constance : la démographie et le nucléaire. Chiffres à l’appui, il démontre que tenir les objectifs de décarbonation de l’économie mondiale en se privant de l’atome reviendrait à s’infliger trente années de crise du Covid. Trois décennies de décroissance, voilà de quoi enthousiasmer la frange la plus radicale des militants verts – et surtout de quoi conduire à la mort de façon certaine des millions d’hommes et de femmes (de faim, de maladies, de guerres). Tout ça pour les protéger d’un risque nucléaire infiniment plus faible que celui de la disette généralisée et permanente. Visiblement peu soucieux de complaire aux amis d’Éric Piolle, Antoine Buéno nous livre une intuition aussi brillante que sinistre : la possible fusion des deux totalitarismes verts, l’islamisme et l’écologisme. Les salafistes pourraient finir par décréter que la civilisation thermo-industrielle abîme l’œuvre de Dieu. Symétriquement, côté écolo, on réaliserait que la société moyenâgeuse talibane possède un bilan carbone flatteur. Les islamo-gauchistes attendent sans doute avec impatience le renfort des écosalafistes…
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Autre sujet abordé sans tabou, la démographie. Buéno met les pieds dans le plat en affirmant que le développement du planning familial en Afrique subsaharienne ou en Inde permettrait d’atteindre 30 % des objectifs du GIEC et cela pour un coût dérisoire. Même si c’est de façon beaucoup moins caricaturale, il s’inscrit en somme dans la lignée du « tweet banquise » de Renaud Camus :« Une boîte de préservatifs offerte en Afrique, c’est trois noyés en moins en Méditerranée, cent mille euros d’économie pour la CAF, deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservée. »
Que ce tweet (pour lequel Camus a été relaxé en première instance) vous fasse rire ou pas, les générations futures, elles, ne vont pas rigoler. Selon Buéno, dans tous les cas, l’homme est condamné à disparaître.
S’il estime inatteignables les objectifs du GIEC, il pense crédible une limitation de nos émissions échappant aux prévisions les plus pessimistes. Entre-temps, il mise sur des avancées technologiques qui permettraient, à terme, d’atteindre un développement durable qu’il qualifie de « fort » (par analogie avec l’intelligence artificielle « faible » aujourd’hui, « forte » demain peut-être). L’humanité pourrait ainsi maîtriser des techniques qui autoriseraient le recyclage du carbone déjà présent dans l’atmosphère ou tirerait une partie de ses ressources minières de l’espace. Des perspectives enthousiasmantes, tempérées hélas par des alternatives plus rudes, dont les grands principes commencent à nous être familiers : hausse brutale du mercure, famines, guerres, migrations massives débouchant sur de nouvelles guerres, etc. Nous en arrivons à l’hypothèse chère à Yves Cochet, celle de l’effondrement civilisationnel, démographique et climatique – un scénario du pire auquel l’auteur ne croit pas (ouf !).
Vers une humanité augmentée
S’il écarte donc les pistes apocalyptiques, il penche en revanche pour l’avènement d’une post-humanité augmentée par la génétique ou l’implant d’une puce informatique cérébrale. Une telle évolution reléguerait au statut actuel des grands singes les Homo sapiens non trafiqués. Ces derniers devraient d’ailleurs être le moins nombreux possible pour éviter un scénario de type nazi. Antoine Buéno craint en effet qu’une posthumanité minoritaire, et pourquoi pas immortelle, réduise rapidement les autres en esclavage. L’appel à l’apparition d’un homme nouveau, moralement meilleur, suscite forcément l’inquiétude. Serait-ce un avatar de celui promis jadis par Hitler ou Staline ? Pas dans l’esprit de l’auteur qui prédit cette fois le fruit d’un processus non violent… Certes. Pour tous ceux qui doutent que l’implant cérébral soit spécialement conçu pour développer notre sens de l’humour – rupture de stock récurrente du TX 300 GrouchoMarx –, il n’en reste pas moins qu’affronter la concurrence de Super Chinois ne nous laissera sans doute guère de choix. Aujourd’hui, la question du smartphone (en avoir ou pas ?) se pose peut-être dans les lamaseries, mais plus dans aucune métropole. Il pourrait en aller de même demain avec toutes les techniques d’augmentation détaillées par l’auteur…
Il n’y a au demeurant pas que la compétition avec la Chine qui pourrait nous inciter à devenir un mélange de silicium et de chair – sans oublier une possible combinaison de sexes et de différents emprunts aux animaux (!). L’émergence d’une intelligence artificielle (IA) capable de surpasser le cerveau humain, avancée probable, quoique toujours repoussée, conduirait à une cohabitation périlleuse pour notre espèce. Le scénario dans lequel une IA forte et bienveillante prendrait le pouvoir sert d’assise à l’hypothèse anarcho-communiste (sans aller jusqu’à proposer de cloner Alain Badiou, Dieu merci). En charge de toute production, l’IA et ses robots esclaves nous délivreraient du labeur. Le bonheur ? Rien n’est moins sûr. Privés de travail, nous voici inutiles, relégués à un état quasi végétatif. Néanmoins, qui sait si la génération X, Y, ou Z n’applaudira pas à l’idée d’être allongée toute la journée ? Plongée dans une réalité virtuelle immersive – dans laquelle, Buéno, farceur, nous imagine éventuellement… travailler !
Ne jamais sous-estimer la bêtise naturelle
Comme toute entreprise de prospective, Futur prend le risque de se tromper, mais nombre de ses réflexions amusent, surprennent ou dérangent. Ressusciterons-nous les mammouths pour brouter la toundra et éviter le relâchement des gigantesques quantités de gaz à effet de serre aujourd’hui piégés dans le permafrost ? Les modifications génétiques permettront-elles effectivement la survie du type « caucasien » puisque la blancheur de peau ou le débridage des yeux a la cote sur tous les continents ? La disparition de la frontière entre le groupe et l’individu – par la mise en réseau de tous nos implants cérébraux – aboutira-t-elle à une forme de démocratie parfaite et permanente ? Si les cerveaux des progressistes votaient à leur insu, il pourrait y avoir des surprises, tant l’écart semble grand entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Rien de tout cela n’arrivera peut-être, car les présupposés d’Antoine Buéno font la part trop belle à la rationalité scientifique ainsi qu’à notre capacité à défendre l’intérêt général. Il pressent que l’intelligence artificielle pourrait agréablement nous surprendre, mais il sous-estime probablement la bêtise naturelle (100 % bio) qui ne paraît pas avoir dit son dernier mot. À l’heure de l’exacerbation des individualismes, il faudrait effectivement une IA forte (et même à poigne !) capable de prendre des décisions contrariant les différents égoïsmes à courte vue. Sans doute le modèle chinois (une espèce de nazisme qui a réussi) préfigure-t-il ce futur holiste décrit par l’auteur, mais lui-même s’interroge. Le choc démographique – moins 400 millions de Chinois à l’horizon 2100 ! – accompagné d’une libération des individus du joug du Parti unique pourrait rapidement remettre en cause la prééminence chinoise émergente. Buéno ne fait parfois qu’effleurer ces disruptions passionnantes. Que la Chine « vieille avant d’être riche » subisse des troubles ou que l’Europe occidentale se ferme brutalement à l’arrivée massive d’une Afrique débordante incapable de maîtriser sa natalité, voilà de quoi constituer des futurs divergents. Buéno évoque seulement « la fin de l’humanisme » européen (ou plutôt de son dévoiement, mais c’est un autre débat). La focale trop large de l’histoire-évolution ne permet hélas pas d’approfondir les conséquences de tels bouleversements au niveau des peuples et des civilisations. Dommage.
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Le relativisme culturel et son hostilité à la « science des Blancs » n’augurent non plus rien de bon en matière d’intelligence collective. Le moins que l’on puisse dire du cybermonde que nous expérimentons, c’est qu’il n’a pas fait que développer la connaissance. Si les réseaux sociaux augmentent quelque chose, c’est moins l’homme que son agressive bêtise. On voit mal comment des trolls individualistes bas du front ou des djihadistes du « like » engendreraient cet homme nouveau, altruiste et prêt à se fondre dans une collectivité bienveillante. Antoine Buéno nous donne envie d’y croire, ce qui n’est déjà pas négligeable.