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Absurde comme la vie d’un avocat


Absurde comme la vie d’un avocat
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Récit d’un avocat, le premier roman d’Antoine Bréa, est un roman court, sec, glaçant, envoûtant. Il paraît dans une collection policière, en l’occurrence la très élégante « Cadre noir » du Seuil mais on se rappellera que L’étranger de Camus, par exemple, aurait très bien pu paraître en Série Noire et que la littérature se moque des étiquettes.

Le narrateur est un avocat, un jeune avocat. Il travaille dans un cabinet où on l’occupe à des tâches subalternes. Enfin, comme il le dit lui-même : «  Jeune n’est pas le mot, j’avais déjà trente trois ou trente quatre ans et connu d’autres métiers, d’autres occupations. » Auparavant, il a beaucoup voyagé en Asie Mineure, en Syrie, à une époque où cela « ne vous rendait pas comptable au retour de vos déplacements auprès des « services » français. »

Parmi ses activités, il a notamment été rapporteur à la Commission des recours des réfugiés, chargée de statuer sur les demandes d’asiles. C’est là qu’il a connu naguère Madame H qui lui demande de s’occuper, après l’avoir invité au restaurant du Cercle de l’Union Interalliée, d’un détenu avec lequel elle entretient une « correspondance de prison » dans le cadre d’une association.  Il s’agit d’un Kurde emprisonné à Clairvaux qui a été jugé en 1996 pour le meurtre d’une aide-soigante avec un complice, meurtre particulièrement atroce avec viol et torture. Il s’appelle Ahmet A. Il entame sa seizième année de détention et son éventuelle libération conditionnelle coïnciderait avec son expulsion vers la Turquie. Or, Ahmet a été condamné à mort dans son pays d’origine par un « tribunal d’honneur » composé de la famille de son complice. Ahmet l’aurait en fait « chargé » au procès et s’en serait tiré mieux que lui. Est-ce que l’avocat ne pourrait pas aller le voir en prison et s’occuper de sa défense et des recours possibles ?

« Elle m’a examiné et déclaré qu’il fallait que je décide si oui ou non, on aurait besoin de préservatifs. »

Il accepte. Le plus intéressant, dans le roman d’Antoine Bréa est sans doute dans la manière dont la description mécanique, minutieuse des lieux, des êtres et des procédures est un paravent pour cacher les névroses et la solitude radicale de son narrateur. Il est incapable de manger en public sans tomber malade et connaît par exemple une relation froide, sans le moindre affect, avec mademoiselle G, une conseillère d’insertion rousse et mal remise d’une hémiplégie, qui travaille auprès du tribunal de Troyes. Obligé de rester un soir alors qu’il ne l’a pas prévu, sans qu’il ait été question de séduction, elle l’invite à dormir chez lui. Ils s’arrêtent dans un supermarché, il achète une brosse à dent et elle de quoi dîner pour deux : « Elle m’a examiné et déclaré qu’il fallait que je décide si oui ou non, on aurait besoin de préservatifs. »

C’est sur le même ton froid, détaché qu’Antoine Bréa nous entrainera, au-delà de cette histoire dans une intrigue, où l’on découvrira entre autre qu’Ahmet pourrait bien avoir été un agent du PKK, comment un avocat aujourd’hui peut encore aider à faire évader un client sans qu’on le sache et comment plus généralement, à l’époque de l’hyperterrorisme, cette insensibilité apparente des personnages est la seule attitude possible pour ne pas devenir complètement fou même si évidemment le narrateur, surtout le narrateur, n’en sortira pas indemne.

Nous avons parlé de Camus, mais il est aussi ici question explicitement de Kafka et ce Récit d’un avocat fait découvrir un écrivain de race parce qu’il nous force à voir le monde comme un univers aux règles incompréhensibles, habités par des êtres réduits à leurs initiales,  dont il est définitivement impossible de s’échapper.

 

Récit d’un avocat d’Antoine Bréa (Le Seuil, « Cadre Noir », 2017)

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