De l’antisémitisme à l’antisionisme, une mise en perspective historique
L’hostilité envers les juifs, ou « judéophobie », peut s’exprimer sur différents registres : la haine, le soupçon, le désir de vengeance, le dégoût, l’inconfort de la différence, la peur de la contagion, la crainte de l’usurpation… L’antisémitisme politique met en argumentation les passions judéophobes et les organise en une polarisation mobilisatrice. Si l’antisémitisme a surtout été développé par la droite jusqu’à la Seconde guerre mondiale, il y a toujours eu aussi en sourdine, une tradition d’antisémitisme de gauche, ce « socialisme des imbéciles » comme le qualifiait Auguste Bebel (dirigeant du SPD allemand au tournant des XIXème et XXème siècles) reprenant l’expression de Ferdinand Kronawetter (socialiste autrichien de la même époque).
Mais après les horreurs du nazisme, la judéophobie publiquement revendiquée, notamment par l’antisémitisme d’extrême droite, est devenue résiduelle tandis que l’antisionisme s’est développé au point d’être l’expression de l’antisémitisme politique la plus répandue et la plus assumée aujourd’hui. Ce nouvel antisémitisme politique combine formes anciennes de judéophobie et détestation moderne de l’État d’Israël.
Le rôle de l’URSS dans la création de l’OLP
L’antisémitisme anticapitaliste socialiste et anarchiste des premiers temps, a renforcé sa dimension complotiste dans les purges staliniennes des années 30 à 50, puis s’est orienté plus nettement vers une judéophobie antisioniste et propalestinienne. Après la virulence de l’antisémitisme tsariste, l’Union soviétique a connu un antisémitisme meurtrier sous Staline, qui a pris des formes moins violentes sous l’ère Brejnev en promouvant ce qu’il est convenu d’appeler « la cause palestinienne ». Dans le contexte de la guerre froide, le rôle de l’URSS dans la création de l’OLP, est en effet aujourd’hui référencé bien qu’encore peu connu et controversé (voir notamment les travaux de Robert Salomon Wistrich, Ion Mihai Pacepa, David Horowitz ou Judith Bergman).
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Le pro-palestinisme consiste en un engagement inconditionnel en faveur de la « cause palestinienne », caractérisée à la fois par sa tonalité islamiste et sa dimension révolutionnaire, son but stratégique consistant dans la destruction de l’État d’Israël, et sa tactique étant la délégitimation de l’État d’Israël. Dans le monde intellectuel anglo-saxon qui irrigue la mobilisation antisioniste mondiale actuelle, après Edward Saïd et son essai paru en 1979, La question de la Palestine où il estime que les Palestiniens constituent « peut-être un peuple exceptionnel » (ce qui est involontairement ironique pour un peuple inexistant, et retournant sournoisement la notion de peuple élu), Noam Chomsky ou Tariq Ali en sont les porte-voix les plus connus. Le Juif retrouve alors les traits menaçants du comploteur cherchant à dominer le monde décrit dans le faux rédigé par les services secrets tsaristes, Les protocoles des sages de Sion (référence à la fois des nazis et du Hamas qui le site à l’article 32 de sa charte).
Le NPA ne tourne pas autour du pot
La gauche révolutionnaire en France, alliant désormais néo-bolchevisme et spontanéisme, islamo-complaisance et wokisme, est incarnée de façon hégémonique par LFI. Ses porte-paroles expriment systématiquement leur soutien à la fois à l’antisémitisme « culturel » de populations souhaitant affirmer leur identité musulmane contre l’Occident, et au mouvement anti-Israël porté par un vaste réseau d’ONG, dont le BDS contre Israël (Boycott-Sanctions-Désinvestissement) est comme la quintessence.
C’est donc « tout naturellement » que l’attaque terroriste fulgurante que le Hamas a lancée contre Israël samedi 7 octobre au matin, en multipliant les crimes de guerre, est « minorée », « relativisée » voire « justifiée » par LFI. Le communiqué de son groupe parlementaire à l’Assemblée nationale déclare ainsi d’emblée: « L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est ». Une fois encore, Israël est considérée comme seul coupable dudit « conflit israélo-palestinien ». Le communiqué du petit NPA est encore plus explicite : « Le NPA rappelle son soutien aux PalestinienNes et aux moyens de lutte qu’ils et qu’elles ont choisi pour résister ».
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Mais si la gauche socialiste réduite aujourd’hui à la portion congrue, a quant à elle sauvé un peu son honneur en condamnant résolument l’agression palestinienne, elle n’est pas exempte de responsabilité dans cette poussée du propalestinisme. Dans cette gauche qui jadis luttait contre l’antisémitisme, et défendait Israël à ses débuts, on peut suivre un certain transfert de solidarité des Juifs aux « Palestiniens » des années 50 à nos jours. Au sein du mouvement socialiste international, on assiste à un virage propalestiniste dans les années 70, nettement marqué après la guerre du Kippour en 1973. Il repose à la fois sur une évolution idéologique globale des socialistes abandonnant leurs topiques traditionnelles, sur une réévaluation de la situation au Proche et Moyen-Orient et sur l’affaiblissement du Parti travailliste israélien au sein de l’organisation internationale, conjointement à la montée en puissance de l’offensive propagandiste de l’OLP à l’intérieur de l’Internationale socialiste.
Les Juifs ne jouent pas le jeu !
En 1968 (un an après la Guerre des Six jours gagnée par Israël), Jacques Vichniac écrivait dans son livre intitulé La gauche contre Israël ? Essai sur le néo-antisémitisme : « Les néo-antisémites ne veulent reconnaître Israël que s’il conserve en tant qu’État les constantes spécifiques négatives qui furent les siennes en tant que peuple : précarité, vulnérabilité, minorité, aliénation. Si Israël acceptait ces constantes, endossait les malheurs et la malédiction du Juif errant, ils iraient jusqu’à le plaindre, puisque aussi bien, en leur qualité d’hommes de gauche, ils ne marchandaient pas leur pitié aux Juifs persécutés. Du moment qu’Israël ne joue pas le jeu, c’est qu’il triche. Qu’il ait vaincu leur paraît proprement inconcevable. »
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Avec la création de l’État d’Israël, les Juifs luttaient les armes à la main, retrouvaient un territoire national et faisaient d’un désert un pays fructueux sinon très riche. Ayant retrouvé une dignité déniée pendant des siècles aux dhimmis sous les califats et l’empire ottoman, et aux persécutés des pogromes et de la Shoah, les Juifs ne représentaient plus l’archétype de la victime. Même si près d’un million de Juifs furent expulsés des pays arabes ou contraints à l’exil après 1947 (sans que leur soit en rien reconnu un quelconque statut de réfugiés même temporaire et encore moins à vie et sur plusieurs générations comme c’est le cas extraordinaire des Arabes de Palestine qui ont quitté leurs villages entre 1947 et 1949 et de tous leurs descendants sans fin), il fallait aux défenseurs des pauvres, des malheureux, des damnés de la terre, trouver une autre figure de la victime. Ils l’ont donc créée en inventant « le peuple palestinien » martyr des Israéliens. Gageons cependant qu’une fois encore Israël saura persévérer dans son être en réduisant ses ennemis à l’impuissance militaire. Mais pour combien de temps, si un soutien massif et constant des démocraties occidentales et notamment de la gauche démocratique et sociale ne se reconstitue pas enfin ?
Renée Fregosi est philosophe et politologue. Dernier ouvrage paru : Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs. Éditions de l’Aube 2023
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