Depuis le 7 octobre, le nombre d’agressions antisémites en Grande-Bretagne a explosé. Selon le chercheur Dave Rich*, c’est en lien direct avec les manifestations « propalestiniennes » sans précédent qui emplissent les rues de Londres chaque samedi. Les juifs britanniques se sentent plus vulnérables et isolés que jamais.
Après les atrocités du 7 octobre, le Royaume-Uni a été le théâtre de manifestations « propalestiniennes » monstres. Le nombre d’incidents antisémites a connu une augmentation ahurissante. Selon le Community Security Trust (CST), une fondation dont l’objectif est de contribuer à la sécurité des juifs britanniques, il y a eu, entre le 7 octobre et le 3 novembre, plus de 1 000 incidents antisémites – agressions, insultes et menaces, visant même des enfants et des écoles –, soit beaucoup plus que pendant les six premiers mois de l’année. Des médias et des politiques ont essayé de minimiser le phénomène en citant une augmentation parallèle des incidents islamophobes, mais elle est sans commune mesure. La communauté juive au Royaume-Uni se sent plus vulnérable et plus isolée qu’à toute autre époque de l’histoire récente. Causeur s’est entretenu avec l’un des dirigeants du CST, Dave Rich, également chercheur au Pears Institue for the Study of Antisemitism de l’université de Londres.
Causeur. Avez-vous été surpris par l’immense vague de manifestations propalestiniennes et par l’antisémitisme qui l’a accompagnée ?
Dave Rich. Oui et non. Chaque fois qu’Israël est impliquée dans une guerre, on voit des phénomènes similaires. Mais l’ampleur prise par les manifestations, surtout à Londres, est unique. On remarque – non sans une grande inquiétude – qu’aucune autre question de politique étrangère ne suscite une telle réaction. On n’a pas vu de manifestations antirusses au début de la guerre en Ukraine. Il faut donc nous poser des questions hautement préoccupantes : qui sont les manifestants, quelles sont leurs motivations, et pourquoi une telle disproportion en comparaison des autres sujets internationaux ? En l’absence d’une explication rationnelle, il faut chercher les causes dans le domaine de l’irrationnel qui, comme l’histoire nous l’enseigne, est souvent celui de l’antisémitisme.
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Quelle a été la réaction de la communauté juive à l’antisémitisme décomplexé qui s’exhibe au cours de ces manifestations ?
La population juive du Royaume-Uni compte seulement 300 000 personnes, soit beaucoup moins que le nombre total des participants aux manifestations ! La plupart se sentent directement menacés. Les événements du 7 octobre les ont frappés de plein fouet : ils sont nombreux à connaître personnellement des victimes des atrocités ou leurs familles. Ils doivent gérer non seulement cette réalité-là, mais aussi les manifs ayant lieu tous les samedis. Au premier trauma, s’ajoute donc celui de ne pas être en sécurité dans les rues des villes, même à Londres. Semaine après semaine, on a vu les manifs prendre de l’ampleur. Au fur et à mesure que la colère et la tension sont montées, les juifs ont ressenti comme un étau qui se resserrait sur eux. Le gouvernement a toléré ces marches protestataires, mais il n’a pas donné l’impression de maîtriser la situation. Un des défis pour les juifs est de distinguer les vrais antisémites des manifestants de bonne foi qui ne demandent que la fin des souffrances palestiniennes. Il est difficile d’estimer le nombre de ces derniers et de comprendre comment ils se trouvent impliqués dans des comportements judéophobes. Mais nous entendons ces cris de « Djihad ! », « Mort aux juifs !», « De la rivière à la mer ! » et nous savons ce qu’ils représentent : un appel à exterminer les juifs.
Quel a été le rôle de la gauche dans la création de cette atmosphère de haine ?
Elle joue un rôle problématique depuis longtemps. À l’époque où Jeremy Corbyn était le chef des travaillistes, le parti donnait l’impression de tolérer, voire d’encourager l’antisémitisme. L’une des théories complotistes qui circulaient était qu’une cabale de grands capitalistes avait empêché Corbyn de devenir Premier ministre. Cette théorie a fusionné avec d’autres, promues par Black Lives Matter, selon lesquelles le seul obstacle que la gauche devait surmonter était la suprématie blanche, dont Israël est l’incarnation la plus visible aux yeux des antisémites de gauche. On sait que les origines du phénomène remontent au XIXe siècle et ont un rapport avec la place des juifs dans l’histoire et la culture européennes mais, à notre époque, le moment le plus significatif reste celui où la gauche radicale a remplacé la lutte des classes par la cause identitaire, notamment celle de l’oppression des musulmans.
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Les universités britanniques promeuvent depuis longtemps les études postcoloniales comme un appel à libérer des peuples opprimés. En se simplifiant, cet appel se réduit à de l’hostilité anti-israélienne. Le pire, c’est que ce mouvement prend son origine non pas chez les étudiants, comme en 1968, mais chez des professeurs qui ont construit un récit dans lequel le capitalisme a pris la relève de l’impérialisme dans l’exploitation des peuples opprimés. Ainsi, Israël est présenté comme une colonie au service de la domination occidentale. Au Royaume-Uni, ce récit s’est installé il y a vingt ans, au moment des protestations contre la guerre en Irak. Un groupe de militants comme Stop the War Coalition est tout à fait représentatif de l’alliance forgée alors entre des radicaux de gauche et les musulmans. Au début, ils ont fait cause commune, mais petit à petit les musulmans ont pris le pouvoir. Les radicaux de gauche ont sous-estimé l’habileté organisationnelle de leurs alliés : ils croyaient pouvoir les manipuler, mais se sont fait prendre à leur propre piège. C’est ainsi que, désormais, la gauche appelle à la destruction d’Israël, main dans la main avec des djihadistes et des islamistes.
Quelles seront les conséquences des événements récents ?
La situation pourrait dégénérer si des manifestations donnent lieu à une vague de violence que la police n’arrive pas à maîtriser. L’antisémitisme n’est pas spécifique au Royaume-Uni, mais l’exemple britannique montre comment une communauté juive peut, en très peu de temps, cesser d’avoir confiance dans la société dans laquelle elle vit.
*Auteur de The Left’s Jewish Problem: Jeremy Corbyn, Israel and Antisemitism (Biteback, 2016) et de Everyday Hate: How Antisemitism is Built Into Our World and How You Change It (Biteback, 2023).
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