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Antisémitisme: appelons les choses par leur nom


Antisémitisme: appelons les choses par leur nom
Nice, 2004. Sipa. Numéro de reportage : 00499043_000002.
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Nice, 2004. Sipa. Numéro de reportage : 00499043_000002.

C’est parce que j’ai pu m’exprimer longuement et posément devant les juges que je ne souhaitais pas prendre part personnellement au débat public suscité par les poursuites judiciaires dont j’ai fait l’objet devant la 17è chambre correctionnelle de Paris le 25 janvier dernier. Mais les deux lettres ouvertes du président de la LICRA (la seconde publiée par le site Causeur) m’y oblige car il y affirme plusieurs contre-vérités.

La Licra… avec le CCIF!

M. Jakubowicz, si vous avez formellement raison, et si je dois en effet ce procès à l’initiative du parquet, l’honnêteté eut été d’ajouter que  ce dernier n’a engagé les poursuites qu’à la suite de la « dénonciation » (c’est le terme juridique en usage) opérée par le CCIF en mars 2016,  cinq mois après les faits. Ignorer le rôle central du CCIF dans ce procès ne peut en rien exonérer de sa responsabilité la LICRA qui a validé sur le fonds la dénonciation du CCIF en se constituant partie civile à ses côtés.

Vous reprenez dans vos deux lettres mes propos tenus à France Culture le 10 octobre 2015. Mais vous en donnez une interprétation si caricaturale qu’elle m’oblige à vous répondre en dépit de ma lassitude.

Comme vous le rappelez,  j’ai pu échanger un an avant le procès avec des membres de la Licra dans le but de clarifier les propos « généralisant » qui m’étaient reprochés. Je leur ai expliqué le contexte dans lequel je les avais formulés et comment ils furent décontextualisés pour m’accuser d’essentialiser de façon raciste en parlant des « familles arabes ». A la demande d’Antoine Spire, membre de votre bureau exécutif, je me suis rendu en effet au siège de la Licra à Paris le 22 janvier 2016. Et j’y ai expliqué le sens de mes paroles sur France Culture. La discussion, en présence  de Boualem Sansal invité comme moi, fut vive et animée, mais toujours courtoise, voire marquée in fine par un climat amical dont peuvent témoigner tous les présents. D’un commun accord, tacite évidemment, avions-nous alors estimé, les uns et les autres, que le différend était aplani.

Smaïn Laacher dans le texte… ou presque

De là ma surprise de voir la Licra se constituer partie civile un an plus tard comme si cette réunion n’avait pas eu lieu.  Comme si l’engagement moral qui en émanait n’avait été qu’un écran de fumée. Votre acharnement, c’est moins moi qu’il a trahi (même si je l’ai été) que les militants organisateurs de la rencontre du 22 janvier 2016.

Le 10 octobre 2015, à France Culture, évoquant la question de l’antisémitisme d’origine arabo-musulmane, je décidai de citer de mémoire les propos du sociologue Smaïn Laacher interrogé dans le film de Georges Benayoun Profs en territoires perdus de la République (inspiré de l’ouvrage dont j’avais été le coordinateur). Je précise : « de mémoire », car j’étais alors certain, mais à tort, de le citer correctement. J’insiste : il n’y avait aucune volonté de ma part de travestir les propos de M.  Laacher, lequel  déclarait dans le film de Benayoun : « Cet antisémitisme, il est déjà déposé dans l’espace domestique, et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue, une des insultes des parents à leurs enfants, quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de « juifs ». Bon, mais ça toutes les familles arabes le savent ! C’est une hypocrisie monumentale de ne pas voir que cet antisémitisme, il est d’abord domestique, (…) légitimé, quasi-naturalisé, au travers d’un certain nombre de distinctions à l’extérieur… Dans ce qu’on appelle les ghettos. Il est même difficile d’y échapper, comme dans l’air qu’on respire… »

Pour ma part, me référant à ces propos qui m’avaient marqué (mais sans avoir sous les yeux le script du film), je déclarai à France Culture : « C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait et personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère… » De cet antisémitisme dont M. Laacher disait qu’il était « quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue […] légitimé, quasi-naturalisé », je disais, moi,  qu’il était tété « avec le lait de la mère ». Ce lait maternel qui est la première chose,  pour reprendre les termes du sociologue, qui soit « quasi naturellement déposé sur la langue » (sic). Si la phrase que j’ai prononcée ne traduisait pas exactement le propos de Smaïn Laacher, leur contenu, leur sens était exactement le même.

L’antisémitisme en héritage… culturel !

Comme il faut rappeler aussi concernant cet antisémitisme arabo-musulman, cette métaphore relative à sa transmission par le lait maternel que j’avais lue maintes et maintes fois en préparant mon livre Juifs en pays arabes (Tallandier, 2012) : le journaliste marocain Saïd Ghallab, dans un texte intitulé « Les Juifs vont en enfer » (publié en 1965 dans la revue Les Temps modernes), écrivait en effet : « C’est avec ce lait haineux que nous avons grandi ».

Il n’est nullement question ici d’essentialisation mais bien de transmission. Il n’est nullement question ici d’être mais de culture. Pour autant mes propos furent interprétés de telle façon que certains tentèrent d’accréditer l’idée, sur Internet et les réseaux sociaux, que j’avançais la thèse d’un antisémitisme contenu dans les gènes ou dans le sang. Dans un souci de se démarquer du personnage sulfureux que j’étais devenu, M. Smaïn Laacher alla jusqu’à parler d’« ignominie » (sic) pour avoir déclaré que l’antisémitisme se transmettait « par le sang » (sic). Une diffamation pure quand je n’ai jamais prononcé ce mot ni rien pensé de tel.

Vous rappelez la formule des « deux peuples ». Il est question ce disant de comportements qui interrogent l’unité d’une nation. Parler de « deux peuples », c’était faire référence aux minutes de silence non respectées après les assassinats de Mohamed Merah, référence aux  très nombreux « Je ne suis pas Charlie », référence d’une manière plus générale à un islam radical et politique dont la pratique et les préceptes poussent à la sécession d’avec le reste de la communauté nationale. Il n’est nullement question dans mon esprit de « races » ou pour dire les choses plus trivialement d’opposer les « Arabes » aux « Français de souche ».

Vous-même, M. Jakubowicz,  évoquez à propos de l’antisémitisme arabe, mais en me l’imputant, une « réalité biologique atavique » voire un « antisémitisme de naissance ». J’ai du mal à croire qu’un avocat qui se targue aussi d’être un homme de culture puisse  ignorer les subtilités de la langue jusqu’à confondre  l’antisémitisme « tété avec le lait de la mère », c’est-à-dire transmis par l’éducation, avec le sang, cette réalité biologique, inaltérable, inamendable et figée. La métaphore du « lait maternel » appartient de longue date à la langue française, elle désigne ce qui se transmet culturellement (et non biologiquement) dans les familles, de génération en génération.

Rhétorique stalinienne

 » Vos propos servent  la surenchère extrémiste » écrivez-vous : comment  cacher mon désappointement de lire cet argument de rhétorique stalinienne qui consiste à stigmatiser son adversaire en l’accusant de « faire le jeu de ». C’était déjà ce que dénonçait George Orwell dans les années 30  à propos de ses camarades socialistes anglais, comme à propos de ce dont il avait été le témoin dans les Brigades internationales de la guerre civile espagnole. J’ai l’impression à vous lire, M. Jakubowicz, de réentendre la vieille rhétorique communiste des années 50 : «Faire le jeu de l’impérialisme américain» ou « le jeu de la bourgeoisie française », etc.  De retrouver aussi les amalgames de l’âge d’or du stalinisme en laissant entendre que Louis Aliot, du FN, m’aurait exprimé son soutien. Ce que j’ignorais. Mais peu importe : me voici donc estampillé FN,  ce qui confirme le côté « nauséabond » de mes propos. Procéder par amalgames, telle était la logique des procès de Moscou.

Ce qui « fait le jeu de » l’extrémisme en France, aujourd’hui, M. Jakubowicz, ce qui nourrit les chances d’un parti populiste d’arriver au pouvoir, c’est  d’abord le déni de réalité, la stratégie suicidaire de l’aveuglement et du silence. C’est la stratégie des « trois singes », ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre, qui ne sont pas ici ceux de la sagesse mais de la démission. Mais ce sont aussi vos mots et votre antiracisme à géométrie variable quand on  s’interroge en vain sur les poursuites  engagées contre le Parti des Indigènes de la République, contre Houria Bouteldja en particulier, l’auteur du pamphlet paru l’an dernier,  Les Blancs, les  Juifs et nous (éd. La Fabrique).  Vous êtes-vous constitué partie civile contre le « camp d’été décolonial » de l’été 2016 ? Contre les forums interdits à la « parole blanche » organisés au  sein de l’université Paris 8 (où enseigne Mme Guénif, témoin à charge au procès du 25 janvier) ?

Ce 25 janvier,  votre acharnement à distance contre moi vous aura poussé à asseoir votre association sur le même banc que celui de l’idéologue des Indigènes de la République, celle qui aura doctement expliqué à un tribunal dubitatif que dans la langue arabe aujourd’hui, les insultes à l’endroit des Juifs, monnaie courante comme l’on sait, sont des « expressions figées » (sic) ayant perdu tout caractère insultant. Qu’elles n’ont, pour tout dire, plus de sens. Qu’autrement dit, aujourd’hui, en arabe, « Mort aux Juifs » ne signifie pas « Mort aux Juifs ». Le père de Jonathan Sandler, grand-père également de deux des trois petits enfants assassinés par Mohamed Merah à Toulouse, appréciera.

Vous pouvez laisser croire dans votre « Lettre ouverte » que vous combattez les idées et les méthodes du CCIF, mais en l’occurrence vous lui avez  servi de caution morale antiraciste,  vous l’avez encouragé dans sa stratégie de légitimation d’un combat identitaire, communautariste et antidémocratique.

Car c’est bien ainsi que le CCIF exploite cet événement auprès de son public, et c’est ce qui compte pour les militants et amis de la Licra qui refusent d’être tenus pour des alliés de l’islam politique et s’insurgent de voir leur association impliquée dans un tel procès.

Le grand inquisiteur

Vous prétendez qu’à l’issue des débats, j’aurais trié le bon grain de l’ivraie en « faisant la part des choses entre les parties civiles ». Vous étiez absent et on vous aura bien mal renseigné : je n’ai rien fait de tel s’il s’agissait d’examiner combien toutes les parties présentes étaient motivées par la même volonté de déformer mes propos, en transformant l’antisémitisme culturel massif des sociétés arabes en un fait biologique. En dénaturant mes mots à dessein d’en faire l’expression du racisme le plus vulgaire.

« Présenter des excuses », dites-vous. Mais à qui ? Êtes-vous le représentant des « familles arabes » qui auraient pu se sentir insultées par mes propos ?  M’excuser auprès de vous pour obtenir un sauf conduit et échapper au triste sort qu’apparemment je méritais ? Mais qui êtes-vous, M. Jakubowicz, pour vous draper dans la posture du Grand Prêtre doté du pouvoir de dire le bien et le mal ?

Sous l’effet d’une campagne délirante de calomnies, à partir d’une phrase qui était une citation (et dont je persiste à dire que je n’en ai pas altéré l’esprit), j’aurais assigné toute une population à une essence antisémite, quasi-génétique pour dire les choses crûment. De là va naître une « affaire Bensoussan » bâtie de bric et de broc, d’approximations et de mensonges, et de l’« affaire » un personnage fantasmatique, en particulier sur la toile, cet espace infini où la rumeur et la calomnie sont reines.

Je ne vous demande nullement d’être d’accord avec ce que je peux dire ou écrire, prises de position et déclarations, qui ne peuvent manquer d’être soumises à la critique aussi virulente soit-elle. Ce que je ne peux accepter en revanche, c’est d’être cloué au pilori pour  des intentions ou des pensées que l’on m’attribue et qui n’ont jamais été les miennes.  Sortir les mots d’un contexte donné, c’est prendre le risque d’entrer dans une logique inquisitoriale dont Richelieu, en son temps, s’était fait l’écho : « Donnez-moi six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j’y trouverai de quoi le faire pendre ».

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