Rebelote : après la première plainte déposée jeudi soir contre John Galliano pour injures racistes, une autre cliente d’un autre bar du Marais vient de se souvenir qu’elle avait été victime d’une agression similaire en octobre dernier et a donc, elle aussi, porté plainte. On imagine que le MRAP, SOS et la Licra sont en embuscade, et j’attends avec impatience que se constitue une association de victimes, avec sa cellule d’aide psychologique contiguë…
Il va de soi que je n’ai aucune opinion sur la véracité des faits. Tout juste puis-je témoigner, comme mille autres clubbers, avoir croisé maintes fois Galliano et son couvre-chef du jour à des heures indues et dans des états avancés d’ébriété (pour lui comme pour moi), sans jamais avoir été témoin de tels agissements, et sans qu’aucune rumeur ne me parvienne attestant son penchant pour l’injure judéophobe ni même gynophobe. Et croyez-moi, c’est un monde où les rumeurs courent encore plus vite que les serveurs. Mais après tout, je suis pas derrière lui[1. Tss-tss, je vous vois venir avec ce « derrière lui » et je vous dis : halte-là, on en a mis en taule pour moins que ça !] 24 heures sur 24, et qui sait, il a peut-être dérapé. En tous les cas, lui, il nie et a porté plainte à son tour pour diffamation. Ce qui n’a pas empêché toutes les radios et télés d’aller tendre leurs micros à son accusatrice. Tout cela appelle plusieurs réflexions.
Tout d’abord, comme l’a rappelé Gil, je n’ai pas l’impression qu’Europe 1 soit sur la brèche à chaque fois qu’un petit juif – ou un petit gaulois ou un petit rebeu – se fait traiter de sale youpin dans son lycée ou sa cité. Or, ce qui définit un délit ou un crime, c’est la gravité des faits, et accessoirement, leur préméditation et leur intention. Si l’antisémitisme est une réelle menace dans notre pays, alors autant aller le débusquer là où il est, et pas là où on voudrait qu’il soit, chez Galliano, Frèche ou Christian Jacob. Ce n’est sûrement pas à cause de la dernière collection croisière de Dior que la kippa est interdite de fait dans maintes communes de banlieue…
Ensuite, il va se soi que confronté à une telle situation, je n’aurais évidemment pas porté plainte. Contrairement à la supposée victime, j’ai mieux à faire que de finir mes soirées au commissariat, même pour la bonne cause. Perso, selon mon humeur et mon degré d’imbibition, j’aurais placé le curseur réactif quelque part entre le changement de table et la gifle, en passant par le retour d’injure, le geste obscène ou l’aspersion du coupable au mojito bien sucré avec ses glaçons. La plaignante, elle, a choisi la voie judiciaire. C’est donc une fille de son temps, une moderne (j’espère qu’elle ne va pas me traîner devant les tribunaux, tant il vrai que, dans ma bouche, cette caractérisation est limite injurieuse).
Encore une fois, je ne sais si cette dame a enduré ou inventé les faits, ou bien si elle les a un peu ou beaucoup exagérés. Tout ce que je sais, c’est que sa vindicte procédurière lui a illico apporté une notoriété qui n’avait pas trop l’air de la déranger. Qu’on aimerait qu’il en aille ainsi pour les victimes d’arracheurs de sacs ou de conducteurs bourrés. Bref, je ne sais si elle a menti, mais je sais qu’elle a bénéficié de son quart d’heure warholien, avant même d’éventuels dommages et intérêts. Ce qui, pour une moderne, pourrait être une bonne raison de mentir ou, au moins, d’améliorer la réalité. Un rien de déontologie aurait donc dû conduire mes estimables confrères à une prudence de sioux sur cette affaire, voire à un silence-radio, disons équivalent, à celui qui entoure le million d’injures injurieuses proférées chaque jour dans ce pays.
Au lieu de quoi, on a jeté Galliano en pâture aux pigistes et aux moralistes. Il a été suspendu de ses fonctions par LVMH en toute illégalité et en toute quiétude. Son nom a été suffisamment accolé à l’adjectif antisémite pour qu’il ne s’en remette jamais.
J’espère qu’il gagnera ses procès et je lui suggère vivement de plaider non pas seulement la diffamation, mais aussi l’atteinte à sa présomption d’innocence. D’ailleurs si un magistrat regarde les JT ou écoute les infos, il a bien dû se rendre compte que cette présomption avait été allègrement violée. Mais je n’ai pas entendu dire que la justice se soit saisie de cette affaire dans l’affaire. Pourtant l’article 9-1 du Code civil est on ne peut plus clair, même moi j’ai tout compris : « Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence. Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence. »
Je veux bien croire que nos juges sous-payés et surchargés ont parfois du mal à attraper les coupables, mais alors qu’au moins, ils protègent un peu, les innocents…
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