Le Parisien, vous connaissez, c’est le journal des vrais gens. D’ailleurs, il leur donne la parole tous les jours aux vrais gens. Ça s’appelle « Voix Express » et le principe est de demander à monsieur et madame Tout le monde de se prononcer sur les petits ou grands sujets du jour. « Nicolas Sarkozy vous a-t-il convaincu ? » « Vous organisez-vous pour la grève ? » Cela peut être franchement dérisoire genre « Laurence Ferrari, frange ou brushing ? », « Martine ou Ségolène ? » Pour chacun, un visage, un nom, un âge, une profession, quelques phrases laissent apercevoir un petit bout de vie. C’est volontiers un peu démago, ça ne vole pas plus haut que ça, ça ne la joue pas science de l’opinion et, dans le fond, ça peut dire quelque chose de plus vrai sur ce que pensent les gens que tous les CSA dont Le Parisien fait par ailleurs un usage immodéré.
L’important, on le sait, c’est la question. Pour cette rubrique et pour la vie en général. Hier, dans la foulée de sa « une » de la veille enjoignant les Français de partir en vacances et d’être amoureux pour oublier la crise, Le Parisien avait trouvé la bonne question : « Avez-vous peur pour vos vacances à la Guadeloupe ? » Ça, c’est fort. Plein de tact, de finesse et de hauteur de vues. Il a fallu quinze jours pour que nous consentions à nous intéresser à une grève générale dans les territoires français que nous appelons pudiquement départements d’outremer. Le conflit fait remonter à la surface les effluves pourris d’un système pourri. Et Le Parisien s’inquiète pour nos vacances au soleil – et en prime pour l’inquiétude des voyagistes. Parce qu’avec tout ça, les amis, le service qui n’était déjà pas terrible ne va pas s’améliorer. Déjà que les classes moyennes n’ont pas le moral, voilà qu’on leur pourrit leur cinquième semaine de congés payés. D’ailleurs, à une exception près, les quidams du jour ne le cachent pas : cette grève, ils s’en seraient bien passés. Comme je vous le dis.
Moi, les Antilles, je n’y connais rien. Les XXL à capuches de nos cités qui invoquent l’esclavagisme pour justifier leurs échecs non plus. Et les Indigènes de la République qui courent les plateaux de télé en brandissant la facture qu’ils entendent faire payer à la France encore moins. Mais après quelques jours d’écoute et de lectures imprécises, je me demande s’ils ne sont pas là-bas, les vrais indigènes de la République. Parce que de loin, on voit des patrons pas tous jolis-jolis, tous blancs, et des salariés, tous noirs ou assimilés, qui en bavent. Bref, pas besoin d’avoir l’oreille très fine pour entendre l’amertume raciale qui décuple la rage sociale. Pour une fois, j’ai l’impression que Taubira n’est pas totalement dingue quand elle parle d’apartheid. Visiblement, il y a là-bas des gens qui continuent à se demander pourquoi ils sont obligés de payer ceux qui frottent leurs parquets.
Enfin, tout ça n’est pas une raison pour prendre des libertés avec la règle de la proximité. Un journal doit aller à la rencontre de ses lecteurs. En prise sur la vraie vie, Le Parisien flippe pour le room-service – et les excursions comprises dans le forfait on les fera comment avec l’essence ?
Remarquez, en vrai, ce n’est pas si sot. Cela s’appelle division internationale du travail. Arrêtons de dire à ces gens qu’ils sont citoyens français et faisons leur miroiter les perspectives alléchantes qui s’offrent à eux s’ils consentent à transformer leurs îles en usines à touristes – mais avec un service à la hauteur, hein ? Bon, c’est vrai, il y a des susceptibilités : imaginez que ces noirs quand on leur dit « service », il leur arrive d’entendre « servitude », on se demande où ils vont chercher ça. Mais bon, on édictera une charte du respect de toutes les mémoires. Et on construira des terrains de foot. Ou des mosquées – ah bon, des églises, vous êtes sûr ?
À la réflexion, il est bien dommage que les décolonisateurs du XXe siècle n’aient pas bénéficié des conseils avisés du Parisien. Parce qu’au lieu de s’enquiquiner avec ces sombres affaires de peuples, d’indépendances et de fiertés nationales, ils auraient su quoi faire. Il suffisait de transformer la République en holding et les lointaines possessions françaises en filiales. Heureusement, pour les Antilles, il est encore temps.
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