Voici une nouvelle démonstration, s’il en fallait encore, de la franche dégradation du climat politique en France : le saccage du centre-ville de Rennes samedi soir, à l’occasion d’une manifestation de protestation contre la tenue d’un meeting du Front national dans la Salle de la Cité. Six à sept cents manifestants ont affronté dans les rues de Rennes quelque trois cents policiers qui tentaient de les empêcher de se rendre au local du FN, boulevard de la Liberté, puis sur le lieu même du meeting, salle de la Cité. Les affrontements se sont rapidement transformés en véritables scènes d’émeutes, avec jets de projectiles et barricades improvisées, occasionnant de multiples dégâts, entre autres des vitrines saccagées et des véhicules incendiées.
L’organisation d’un meeting du Front national dans la salle de la Cité revêtait une importance symbolique particulière. Construit en 1925, le bâtiment est profondément associé à l’histoire du mouvement ouvrier dans la région. Cette salle a accueilli nombre de meetings et de réunions syndicales avant de devenir un cinéma en 1960. Redécouverte en 1993, elle a été classée monument historique en 1997, en raison notamment de la présence d’une fresque réalisée par le peintre Camille Godet, reprenant les nombreux croquis des ouvriers réalisés par l’artiste pendant la construction du bâtiment. Partis de gauche, organisations syndicales et associations avaient donc vivement protesté contre l’attribution de la salle de la Cité au Front National pour l’organisation de son meeting de campagne. La municipalité socialiste, par la voix du PS d’Ille-et-Vilaine, s’était cependant défendu en arguant du fait qu’« une autre décision aurait permis au FN de se présenter en victime des règles qui président à la démocratie locale. Nous ne voulons pas leur faire ce cadeau ».
Les violents incidents n’ont pas empêché la tenue du meeting qui a réuni environ cent personnes à partir de 21h mais ils font surtout suite à une série de coups d’éclats qui semblent démontrer la relative impunité de ces milices antifascistes, lesquelles n’hésitent pas à recourir à l’agression physique quand cela leur semble nécessaire. Ce fut le cas deux jours plus tôt quand le conférencier Philippe Perchivin, accusé d’être proche des milieux Identitaires, a été aspergé d’ammoniac par quinze individus masqués et cagoulés ayant fait irruption dans l’amphithéâtre où se tenait la conférence, ou encore lorsque la librairie Dobrée à Nantes, suspectée d’être un lieu de rendez-vous de la droite catholique nantaise, fut mise à sac.
Les dépôts de plainte pour coups et blessures, dégradations ou menaces de mort se sont multipliés à un rythme inquiétant, notamment depuis l’affaire Clément Méric, dont l’origine fut elle-même une rixe entre militants antifascistes et nationalistes. Les accusations de laxisme se multiplient également à l’encontre de Manuel Valls et la mise en cause, parfois par des sources policières, des administrations et des magistratures, accusées de produire de très claires consignes de clémence en cas de troubles impliquant des antifas, fleurit sur la Toile. Ainsi, les violences qui ont secoué le centre-ville de Rennes samedi, entraînant des dégâts importants et faisant cinq blessés, n’ont donné lieu à ce jour qu’à quatre interpellations. Le Front national a d’ailleurs accusé le ministre de l’Intérieur de « protéger les voyous ‘antifas' » qui déploient une « violence inouïe » et demandé la dissolution de ce que le parti de Marine Le Pen nomme des « milices du pouvoir ».
Y-a-t-il une volonté délibérée du ministère de l’Intérieur de garantir à ces groupuscules une relative impunité afin de maintenir avant les élections municipales un climat de tension et profiter de la radicalisation qui s’est affichée lors du « Jour de la colère » et depuis les débuts de l’affaire Dieudonné pour jouer le jeu dangereux de l’affrontement des extrêmes ? Cette stratégie de la tension rappellerait grandement celle qui caractérisa le gouvernement italien dans les années 70 qui, à l’époque, pour écarter un Parti Communiste Italien menaçant, avait largement instrumentalisé les violences urbaines et les mouvements radicaux de gauche et de droite afin d’instiller un climat de crainte favorable au maintien au pouvoir de la mouvance démocrate-chrétienne.
Comme le rappelle un confrère : « Ce serait, en tous les cas, la seule stratégie valable pour écarter le parti qui s’oppose aujourd’hui à l’ordre établi et qui s’apprête à recueillir près d’un tiers des voix des électeurs français, comme autrefois le PC italien… Avant que les révolutionnaires, les antifascistes, les néofascistes, les services secrets, les nazi-maoïstes, les brigadistes, et tutti quanti, n’entrent en scène pour jouer une partition que le chef d’orchestre (étatique) avait écrite pour eux. » Reste à savoir si la partition ne pourrait pas se révéler, pour le chef d’orchestre lui-même, très dangereuse à faire jouer.
*Photo : MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00675370_000005.
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