9 mars: Annie Le Brun contre la loi El Khomri


9 mars: Annie Le Brun contre la loi El Khomri
Etudiants mobilisés contre la loi El Khomri (Paris, mars 2016). Sipa. Numéro de reportage : AP21868536_000002.
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Etudiants mobilisés contre la loi El Khomri (Paris, mars 2016). Sipa. Numéro de reportage : AP21868536_000002.

« Il est des livres qu’on préfèrerait ne pas écrire. Mais la misère de ce temps est telle que je me sens obligée de ne pas continuer à me taire, surtout quand on cherche trop à nous convaincre de l’absence de toute révolte. Sur ce point comme sur les autres, il me répugnerait de croire sur parole une société qui n’en a aucune, jusqu’ à trouver son mode d’expression privilégié dans la dénégation. » écrivait, en l’an 2000, Annie Le Brun dans Du trop de réalité. (Stock)

Voici un livre à relire, seize ans après sa parution, alors qu’un mouvement social d’ampleur se prépare peut-être. Ou peut-être pas. Qu’il s’agira, ou pas, d’une vraie révolte, d’une vraie colère, de celle qui ne sera pas orientée et relayée par les maîtres du moment et leurs médias, vers l’immigré, le migrant, l’assisté, le Musulman. Une colère devant nos vies déjà volées mais qui seront demain entièrement soumises aux convenances d’un capitalisme aux abois. Ce capitalisme financiarisé confronté à cette fameuse baisse tendancielle du taux de profit prophétisée par le marxisme, trouve son ultime recours grâce à la précarisation généralisée voire, à moyen terme, au retour pur et simple à l’esclavage pour le monde du travail dans les pays occidentaux, sachant par ailleurs que cet esclavage n’a jamais vraiment cessé d’exister ailleurs, des ateliers du textile bangladeshis aux chaînes de montages chinoises de smartphones, en passant par les mines de cobalt du Congo ou les plantations de café d’Amérique Latine.

Pour ce faire, nous disait Annie Le Brun, ce capitalisme a mis au point une « réalité » – le Spectacle pour Debord – réalité évidemment falsifiée mais qui se présente comme sans réplique – la trop fameuse Tina, cet acronyme de l’enfer thatchérien.

Déjà, on entend comme en 1994 (CIP balladurien), en 1995 (sécu façon Juppé), 2003 (retraites Fillon), 2005 (TCE), 2006 (CPE), 2010 (retraites Sarkozy), les experts unanimes expliquer que c’est une bonne loi que la loi sur le travail,  que les gens ne l’ont pas comprise, que les gens ne sont pas assez intelligents pour la comprendre, qu’elle est en fait sociale, que c’est juste un problème de communication et d’ailleurs que la population qui ne le sait pas, est en fait d’accord avec cette loi puisque des sondages le disent. Et que ces sondages savent évidemment mieux ce que pensent les gens que les gens eux-mêmes. Par exemple, les gens ne savent pas qu’ils aiment Macron ni qu’ils sont d’accord pour que des apprentis travaillent dix heures par jour si l’entreprise en a besoin ou que la nuit qui allait autrefois, dans l’ancien code du travail de 22 heures à 6 heures commencerait désormais, avec cette loi, à 23 heures et se terminerait à 5, confirmant les analyses de l’américain John Crary dans 24/7, le capitalisme à l’assaut du sommeil. (Zones, 2014)

C’est la réalité, nous disent-ils. On les reconnaît d’ailleurs tout de suite à l’oreille, à une certaine tonalité de voix, sans même avoir besoin d’écouter leur sinistre refrain qui a à peine changé depuis deux grosses décennies: cette tonalité arrogante et souriante est celle de la « compétence ». Ils en ont d’ailleurs étonnamment fait montre, de cette compétence, comme le prouve chaque jour l’état de la société française alors que ce sont leurs idées qui sont pourtant appliquées servilement depuis si longtemps. Ils vous expliqueront, ces staliniens de la concurrence libre et non faussée (d’ailleurs ils sont si nombreux à l’avoir été, staliniens, ne gardant du communisme que les méthodes d’un monstrueux  accident de parcours), que si ça ne fonctionne pas, c’est justement parce que ça ne va pas assez loin.

Il est même possible qu’ils gagnent et que le monde du travail finisse par accepter de prendre un minijob à 600 euros ou accepte un « contrat zéro heure » comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni. Il semble même que le moment historique que nous traversons soit profondément défavorable à ceux qui veulent un autre monde. Les querelles boutiquières dans les milieux syndicaux ou politiques révolutionnaires ou réformistes-révolutionnaires  permettent au capitalisme d’y aller comme à l’exercice en utilisant à l’occasion les faux nez du populisme trumpo-lepéniste. Il faut donc leur répondre, à défaut de victoire mais au moins pour sauver l’honneur, comme Annie Le Brun : « En attendant, qu’on ne me demande pas de reconnaître quoi que ce soit à un monde où je ne cherche plus que des traces de vies insoumises. D’autres, j’en suis sûre, ont encore cette passion. Quant à ceux qui ne l’ont pas comme à ce dont ils se réclament, c’est par tous les moyens que je me propose de leur dire : non, non, non, non, non, non, non. »

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