Si vous avez de sérieux doutes sur le rebond économique de notre beau pays, sa capacité à sortir de l’impasse, allez faire un tour ce week-end dans l’Ouest parisien, à Boulogne-Billancourt, par exemple. Les plus pessimistes d’entre vous y trouveront matière à s’enthousiasmer sur le génie industriel français, cette terre d’inventions et de conquêtes qui nous semble, aujourd’hui, si éloignée. En ce temps-là, la banlieue n’était pas encore devenue un havre de paix bunkerisé pour cadres intégrés et CDIsés ou, plus au nord, cette grande friche paupérisée et communautarisée.
Les livres d’histoire ont tendance à l’oublier mais la petite couronne a été au cœur du développement de notre nation. Rendez-vous compte, il y avait même des ouvriers à l’intérieur de nos villes. Certains maires shootés au tourisme en tremblent encore. Rassurons-les, les pauvres n’ont pas disparu, ils sont juste hors de vue. Les capitaines d’industrie ne s’étaient pas non plus fait la malle. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, nos chefs d’entreprise inventaient et produisaient même sur place dans ces années dites noires. On croit rêver. L’innovation technologique était au cœur du développement national. A Boulogne, ça foisonnait d’idées nouvelles chaque jour. La ville comptait déjà 100 000 habitants en 1936. Renault avait posé son paquebot sur l’Ile Séguin dès 1929, suivant l’exemple des grands noms de l’aéronautique qui avaient initié ce mouvement. Les firmes Voisin, Farman ou encore Blériot déployaient leurs ailes sur les bords de la Seine, à quelques kilomètres de la Tour Eiffel. Le monde des arts n’était pas en reste. Dans les studios de Billancourt (1922) et de Boulogne (1941), s’activaient à la manivelle Abel Gance, Marcel Carné, Renoir et Pagnol.
Quand la société de consommation faisait à la fois dans l’utile et le beau
De cet entre-deux-guerres phosphorescent, la Fée électricité aidant, la ville transformait l’habitat et son appareil productif. Malgré les rénovations urbaines intervenues au cours du XXème siècle, Boulogne a conservé un patrimoine architectural typique des années 30, notamment des immeubles construits par Robert Mallet-Stevens et André Lurçat, tous deux membres de l’Union des artistes modernes. Ne ratez pas les Villas Miestchaninoff et Lipchitz (1924), Collinet (1926), Cook (1927) de Le Corbusier ou le remarquable Hôtel de Ville (1934) de Tony Garnier à proximité du Musée des années 30 (nom de code MA-30), méconnu malgré la richesse de ses collections. Il accueille sur quatre étages toutes les disciplines (peinture, dessin, affiche, sculpture, maquette, mobilier, vaisselle, etc.) et brosse un panorama complet des mouvements artistiques de la période (orientalisme, Ecole de Paris, néo-classicisme, art-déco, modernisme, art sacré, etc.). Il témoigne aussi des rapports étroits entre « arts et industries » avec cette volonté « utopiste » de styliser la vie quotidienne. La société de consommation imaginait alors des objets à la fois beaux et utiles. Un espace (en rénovation) mélange mobilier haut de gamme, maquettes d’architectes et art de la table. La majesté d’un bureau en placage de noyer créé par Jacques-Emile Ruhlmann ne peut laisser aucun esthète indifférent. Tout comme les miniatures Renault fabriquées en tôle par la société J.E.P. installée à Montreuil dès 1908.
Une visite dans ce Musée permet de tordre le cou à certaines idées reçues comme quoi, en banlieue, on ne pourrait rien créer ou que les produits manufacturés seraient forcément moches. Ne pas manquer également le délicieux Musée Paul Belmondo (1895-1982) dans le Château Buchillot.
M-A30/ Musée des Années Trente – Espace Landowski – 28 av, André-Morizet à Boulogne-Billancourt – Ouvert du mardi au dimanche de 11h00 à 18 h00.
Musée Paul Belmondo – 14, rue de l’Abreuvoir – Ouvert du mardi au vendredi de 14h00 à 18h00 et le samedi et dimanche de 11h00 à 18h00.
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