Quand notre pays déprime, il se réfugie dans le confort molletonné des années 50. Réflexe naturel car la mondialisation est décidément trop laide à regarder. Elle brûle les yeux. Ça pique, ça gratte, ça schlingue ! Ces millions de produits fabriqués par des sous-développés pour des ex-développés souillent nos étals, obstruent nos téléviseurs et nous donnent la nausée. Toute cette camelote électronique, ces textiles inflammables et ces ustensiles foireux inondent le marché dans un flux ininterrompu surtout avant la Noël avec la bénédiction de nos gouvernements. Il s’agirait là d’un juste rééquilibrage entre ancien et nouveau monde. En résumé, nous avons eu notre part de croissance durant les Trente glorieuses, c’est au tour des autres d’en profiter. Ces biens de consommation ne sont pas « bon marché » comme le prétendent les économistes qui estiment que le progrès social se résume à posséder trois téléphones portables, deux téléviseurs et de s’habiller « tout synthétique ».
En réalité, ces marchandises sont excessivement chères. La preuve, elles génèrent des marges considérables à leurs fabricants. Chères parce que de qualité médiocre, d’une durée de vie limitée, de conception rudimentaire, d’un usage souvent inutile et plus grave encore, elles habituent nos populations à acheter du vent, de l’esbroufe. Vous me direz, ce sont là les bases du commerce, son essence même. Toutes ces saloperies feront sensation à peine une saison, parfois seulement quelques heures, pour le plus grand bonheur des affairistes du soleil levant. La machine doit sans cesse tourner à plein régime car ces objets ont été conçus pour entretenir notre frénésie d’achat. Je passe évidemment sur leur mode de production amoral et leurs conséquences dramatiques sur nos emplois, donc sur notre mode de vie. A ce petit jeu-là, tout le monde est perdant. Des peuples producteurs en état de servage et des consommateurs shootés à la nouveauté qui comblent leur vide existentiel par boulimie acheteuse.
Ce système fausse les valeurs et pervertit les âmes. Et ne croyez surtout pas que le secteur du luxe soit épargné, quiconque d’un peu sérieux vous dira qu’en matière de vêtements, de chaussures, de confection, de choix des tissus, de finition, nous avons fait un grand bond en arrière. Ceux qui ont encore un peu de mémoire savent que les écoliers des années 50/60 possédaient une garde-robe certes restreinte (on ne vivait pas sous le diktat des marques) mais de bonne qualité. Tous les enfants de France étaient alors habillés sur-mesure ! Les couturières ont disparu de nos villes et de nos campagnes comme les merceries et les cordonniers (les vrais pas les ressemeleurs d’opérette) et ça se voit dans nos rues ! La résurgence des années 50/60 dans la mode, le cinéma avec la sortie de Populaire ou à la télévision avec la série Mad Men fait revivre une époque qui avait du style. Nous en manquons cruellement aujourd’hui. On reconnait une nation en déliquescence à la façon dont les gens parlent, écrivent et s’habillent. Les années 90 et 2000, comme par hasard celles de la mondialisation au forceps, sont affligeantes et indigentes à cet égard. Certainement, les deux décennies où les gens ont été le plus mal habillés. Soulignons que ces années-là ont été marquées par l’obscène télé-réalité et la littérature mnémotechnique. Alors qu’à la fin des fifties, tout l’univers était stylisé à l’extrême. Au cinéma, les garçons portaient des costumes cintrés et se prenaient pour Maurice Ronet dans Ascenseur pour l’échafaud ou Eddie Constantine alias l’agent Bob Stanley. Les filles cultivaient cette innocence dévastatrice à la BB dans « Une Parisienne ». Twin-set rose largement décolleté, jupe moulante proche de l’implosion, chignon machiavélique et talons conquérants. Classieuse comme aurait dit Gainsbourg. Quant au film « Mon oncle » de Jacques Tati à l’esthétisme pointu, il donnerait des idées (pendant mille ans) à nos designers contemporains. Et sur nos routes, des DS, des Fiat 500, des Mini, des Floride, des 403, etc… Féérie locomotive, paradis perdu des carrosseries sensuelles et des courbes enchanteresses. Ne boudons pas notre plaisir, ce retour des années 50/60 non dénué d’arrière- pensées mercantiles, est tout de même réjouissant. Les filles étaient belles, les hommes élégants, les voitures attirantes, les écrivains admirés, les jeunes cinéastes remontés comme des pendules, les ouvriers croyaient aux lendemains qui chantent, les bourgeois profitaient, les mœurs se détendaient, tout ça ressemblait à un âge d’or.
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