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Anne Zelensky : #metoo, un bilan globalement positif

Entretien avec la féministe historique


Anne Zelensky : #metoo, un bilan globalement positif
La militante féministe Anne Zelensky, confondatrice en 1966 du groupe Féminin Masculin Avenir (FMA), ancêtre du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). ©Hannah Assouline

A 82 ans, la féministe historique Anne Zelensky reconnaît dans #metoo, malgré tous ses excès, le prolongement de la révolution sexuelle. Mais la révolution culturelle qu’elle appelle de ses voeux ne se fera pas sans les hommes.


Causeur. Six mois après la déferlante #metoo qui a suivi l’affaire Weinstein, quel bilan en tirez-vous ?  

Anne Zelensky : Positif, indéniablement. Même avec ses excès et ses dérives, #metoo nous remet dans le droit fil de notre mouvement des années 1970, dont le noyau dur a été l’interpellation des violences faites aux femmes, signe de la domination masculine, qui est désormais un fait reconnu. À ce propos, je voudrais dégager le féminisme du brouillage fantasmatique. Pour une réflexion sereine sur cette question, il faut laisser à la porte fantasmes, projections, a priori. Rien n’est plus malaisé…

On dirait que, pour vous, les dérives sont négligeables. Or, #metoo est très marqué par son antijuridisme. Il y a eu un grand déballage sur les réseaux sociaux, à une époque où la moindre accusation de harcèlement peut détruire une vie.

Combien de vies de femmes ont été détruites au cours des siècles ! Mais on préfère pointer les « excès » du féminisme, plutôt que les outrances du machisme. Quand une femme la ramène, elle sort de son pré carré de douceur et de soumission, quelle inconvenance ! Ceci dit, l’espèce humaine ne fait pas dans la nuance. Cela va toujours trop loin à gauche et à droite avant de revenir au milieu. Ainsi la « libération sexuelle » a été complètement dévoyée de son sens, quand la pornographie fait office de vade-mecum sexuel à fonction éducative. Nous voulions disposer de notre corps, pas le mettre à disposition. Rien à voir avec ces carpettes enfilables et sodomisables à volonté qu’on nous donne à voir !

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Ne vous sentez-vous pas davantage trahie par les féministes en croisade que par le porno ?

Les deux mon commandant ! Les féministes dont vous parlez ont repris certains thèmes des années 1970, sans l’esprit et l’humour qui les caractérisaient. Elles ont renoncé à la belle autonomie qui était notre marque de fabrique. Ni Dieu, ni maître PS, ni obsession antiraciste, ni manie intersectionnelle, mais contestation joyeuse et inventive de nos us et coutumes, tel était notre propos. Cette « deuxième vague du féminisme » s’est centrée sur la liberté de disposer de son ventre et de soi. La première, au croisement des xixe et xxe siècles, visait avant tout l’égalité – vote, scolarisation des femmes, droit au travail. Il était logique de commencer par là. Mais dans les années 1960, les femmes ont compris que l’égalité sans la liberté de choisir ses maternités, ça ne marchait pas. Et cette deuxième vague s’est donné les moyens d’exercer l’égalité en prenant la liberté d’avoir des enfants ou pas. N’oublions pas le « ou pas ».

Reste que les mêmes mots d’ordre réapparaissent alors que le monde a complètement changé. Même si elle n’est pas respectée partout, l’égalité homme/femme est désormais la norme…

Oui, en théorie ! Je ne vais pas rabâcher les chiffres sur l’inégalité des salaires, la prise en charge unilatérale du domestique, les discriminations à l’embauche des femmes… Le catalogue minutieux des inégalités femmes/hommes a encore été dressé le 8 mars dernier. Gardons-nous de l’illusion que tout est acquis. Une affaire qui dure depuis des millénaires ne va pas se liquider en quelques décennies. Même si, je vous l’accorde, on a plus avancé en cinquante ans qu’en deux mille ans, grâce, entre autres, à nos agitations féministes !

On nous explique pourtant que toutes les femmes sont en danger. Comme le dit Alain Finkielkraut, une partie des féministes sont des mauvaises gagnantes.

Pour ma part, je suis une bonne gagnante. Quant à la liberté de circuler habillée comme on veut et quand on veut, ça dépend des quartiers, et ça dépend pour qui.

D’accord, mais on nous parle de « culture du viol » comme si le monde de #metoo, de l’affaire Weinstein, de #balancetonporc était le même que celui des années 1960 !

Il faut croire que le monde n’a pas tellement changé, puisque des Weinstein pratiquent toujours le droit de cuissage massif ! Ce avec la complicité forcée des victimes qui n’osaient pas l’ouvrir par peur et honte. Saluons l’effet désinhibiteur du « nous » des femmes qui libère le cri de révolte étouffé. La sororité, ça commence à exister et ça paye.

Pardon, mais le parti des femmes, non merci ! Je me sens plus proche de beaucoup d’hommes que de la dirigeante de l’UNEF qui milite voilée (ce qui est évidemment son droit). Quarante-cinq ans après le MLF, le « féminisme musulman » vous effraie-t-il ?

Le voile est une impasse et un dévoiement du féminisme. Féminisme et musulman ne vont pas vraiment ensemble. Les religions monothéistes ont mis les femmes sous tutelle. Le féminisme est une démarche de libération et d’autonomie qui prétend sortir l’individu de la soumission quelle qu’elle soit. Depuis l’affaire du collège de Creil en 1989, j’alerte sur les débordements de l’islam politique, dont le voile comme cheval de Troie pour s’introduire dans la cité démocratique. Je n’ai cessé depuis de pointer les dangers de l’islamisation de notre pays. Cela m’a coûté cher. Mes faux amis de gauche m’ont convoquée devant leur tribunal de la pensée correcte, et j’ai été excommuniée littéralement. Les anathèmes usuels ont fusé : raciste, extrême droite… Mais le pire a été le rejet de mes copines « féministes », enlisées dans le réflexe antiraciste, qui n’ont pas supporté en fait que je dise tout haut ce qu’elles n’osaient même pas penser tout bas. L’antiracisme hystérique est l’arbre qui cache la forêt des autres discriminations. Il est devenu le totem de toute une non-pensée de gauche. Les néoféministes sont incapables de se dégager des dogmes en cours et ne peuvent donc produire une pensée originale.

Surtout, le surmoi de gauche des néoféministes leur font souvent préférer l’immigrée à la femme occidentale. Mais le sectarisme idéologique des années 1970 n’a-t-il pas fait le lit de cet aveuglement ?

Tout mouvement est forcément sectaire, surtout quand il démarre. Pour exister, il ne peut pas faire dans la dentelle. Mais nous n’avons pas su analyser nos erreurs, ni nous interroger sur ce que la société pensait de nos propositions. Cela nous aurait permis d’ajuster le tir, de revoir nos cibles et sans doute d’établir les bases d’un mouvement durable.

Vous critiquez l’obsession de l’égalité, mais le féminisme a-t-il un autre horizon ?

Aux néoféministes qui revendiquent seulement l’égalité, je demande : « Avec qui et pour quoi faire ? » Pour faire des femmes des hommes comme les autres ? L’égalité n’est qu’une étape, pas une fin en soi. Il s’agit, à long terme, de transformer l’ordre des choses, et surtout la relation humaine, faite d’incompréhension et de fureur.

En attendant, les néoféministes détestent la différence des sexes et semblent précisément vouloir faire des hommes des femmes comme les autres.

Non, il s’agit plutôt de faire émerger le féminin chez les hommes et le masculin chez les femmes. Nous souffrons tous d’être enfermés dans des corsets sexuels. De l’air ! Le féminisme n’aligne personne sur personne, il refuse que chacun soit condamné à être une caricature de mec ou de fille. En 1988, nous avons ouvert avec des hommes le premier centre d’accueil pour les hommes qui battent leurs femmes. Dix ans plus tôt, j’avais contribué à ouvrir le premier centre d’accueil des femmes battues en France et je voulais me tourner vers les hommes violents, pour avoir une vue panoramique de la violence conjugale. Tout cela se joue à deux.

A lire aussi: Être un homme, mesdames, c’est pas si facile

Aujourd’hui, le féminisme semble avoir muté vers une sorte de puritanisme qui criminalise le désir masculin.

Hormis jeune et jolie, point de salut érectile ! Interrogez-vous sur les ressorts de ce désir. Passons-le à la moulinette ! Pourquoi lui faut-il des exhausteurs comme le porte-jarretelles ou le bas résille ? Le désir masculin ne s’ébranle que dans un cadre strict. Certains hommes reconnaissent leur difficulté à désirer une femme qu’ils admirent ou respectent. C’est le syndrome maman ou putain. Difficile en effet, de coucher avec la personne qui vous a mis au monde et qu’on vous a interdit de désirer.

Justement, dès les années 1970, on pouvait vous soupçonner de vouloir imposer une norme au désir, masculin en particulier.

Heureusement, les choses ne sont pas aussi crispées et normées en pratique qu’en théorie. Mais vous avez raison, si le féminisme est mal perçu, c’est parce qu’il a touché à des choses aussi fondamentales que le désir.

Au point que certaines néoféministes, drapées dans la théorie du genre, évacuent totalement la biologie, et la spécificité des désirs masculin et féminin.

Ce n’est pas moi qui défendrais ce genre de construction ! J’admets évidemment la part de l’inné, liée aux règles et à la grossesse. Mon gynécologue avait causé un grand scandale en constatant que les crimes commis par les femmes se situaient plutôt aux alentours de leurs règles. Moi, j’étais intéressée par ces remarques. J’ai participé à des émissions de télé avec lui au grand dam de certaines féministes dogmatiques et arcboutées sur l’idée que la biologie n’existe pas…

Les mêmes gardiennes du dogme ont jeté l’anathème sur les signataires du manifeste signé par Catherine Deneuve, Catherine Millet, Peggy Sastre pour défendre la liberté d’importuner. Pourquoi ne l’avez-vous pas signé ?

Ça me paraissait hors de propos au moment où enfin, un grand nombre de femmes réclamaient le droit à ne plus être importunées. Doux euphémisme ! Sans vouloir disqualifier personne, je dirais que cette initiative a été lancée par des femmes d’un certain âge, élevées dans un monde où la drague n’avait pas du tout la vulgarité et l’agressivité d’aujourd’hui. On pouvait alors se sentir flattée par le regard masculin…

Mais ça s’adressait quand même à votre cul, du moins, à une sorte d’éternel féminin ! L’amour courtois fige élégamment les rôles…  

Je n’entends pas nier l’attirance des sexes, mais seulement la sortir de l’ornière de vulgarité dans laquelle elle est tombée. Alors peut-être verra-t-on naître un autre type de désir. Mais je sais bien, que pour le moment, l’égalité et le désir ne font pas bon ménage.

La preuve, on connaît tous des hommes qui se font pourrir la vie par des harpies.

Sans doute. Et ce sont souvent les plus gentils. Les braves garçons n’ont pas la cote.

Peggy Sastre en donne une explication biologique : nos vieux instincts de survie en milieu hostile poussent les femmes à aller chercher le meilleur reproducteur possible. Ceci favorise les chasseurs d’aurochs qui feront des enfants capables de résister à la sélection darwinienne. Aujourd’hui, il n’y a plus d’aurochs…

Et ça débande sec, si j’en crois mes petites copines ! Les hommes ont peur de ne pas être à la hauteur d’une masculinité fantasmée. Être un homme, c’est aussi une souffrance. On ne peut pas s’autoriser trop de sensibilité, il faut se conformer à un rôle castrateur.

D’après Marcel Gauchet, une révolution silencieuse se déroule dans les salles de classe : les filles représentent systématiquement la meilleure moitié de la classe. Qu’en dites-vous ?

Les garçons sont en effet en mauvaise posture à l’école. De manière générale, le « sexe fort » n’est pas celui qu’on croit. Rappelons que les petits mâles meurent beaucoup plus à la naissance que les petites femelles et que celles-ci vivent plus longtemps. C’est un fait biologique. Il y a une fragilité masculine et il est heureux qu’on s’en aperçoive. C’est pourquoi la libération des femmes concerne aussi et surtout les hommes. Ce sont eux qui ont un problème millénaire avec les femmes, qu’ils ont opprimées.

Avec la libération sexuelle, vous avez accompagné, sinon provoqué, une autre mutation : l’arrachement de la sexualité à la reproduction. Aujourd’hui, la science va plus loin et arrache la reproduction à la sexualité avec la PMA et la GPA. Cela vous gêne-t-il ?

Je suis tout à fait opposée à la GPA qui est une manipulation du corps des femmes. C’est un retour en arrière qui assouvit le vieux fantasme de se passer des femmes. Des enfants sans ventre, on y arrive !

Avec la PMA, les femmes se passent aussi très volontiers des hommes…

Il y a une tentative d’éliminer l’autre sexe, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Où est le droit de l’enfant là-dedans ? Tout le monde s’interroge furieusement : « Qui est mon papa ? Qui est ma maman ? » Vous croyez que c’est confortable d’avoir un papa-éprouvette, une maman-utérus artificiel ? Il y a trouble dans la descendance, trouble dans la parentalité. Moi, j’ai un père et une mère et je me suis forgée en m’opposant à mon père. Si la libération consiste à éliminer l’autre, non merci !

Finalement, vous ne vous reconnaissez aucune héritière.

Si. Quelques femmes qui osent relever la tête là où elles sont. Par exemple l’humoriste Blanche Gardin. Cette fille a tout compris. Son humour noir est un moyen iconoclaste de toucher les gens. D’habitude, les femmes n’utilisent pas le cynisme et l’humour noir, mais Blanche ose. Son sketch sur la sodomie est génial. Elle montre que c’est devenu une obligation, si bien que vous ne pouvez plus aller dans un lit avec un mec, surtout chez les jeunes (porno oblige !) sans sodomie et éjaculation faciale ! Elle consent dans le sketch à se laisser sodomiser, alors que ça lui fait très mal et qu’elle déteste. Elle montre très bien la difficulté des femmes à dire non. Bref, contrairement à ce que vous dites, on en est aux balbutiements du féminisme, ou si vous préférez, aux prémices d’une libération des femmes et des hommes.

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Ete 2018 - Causeur #59

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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