Notre chroniqueuse Sophie Bachat n’a pas trouvé de révélations croustillantes dans Passé composé, les mémoires d’Anne Sinclair. Un récit touchant qui permet notamment de replonger avec nostalgie dans toute une époque: la mitterrandie et les années 80.
Le 16 mai 2011, la France entière découvrait les images de Dominique Strauss-Kahn, menotté entre deux policiers new-yorkais, le visage figé, après trente heures de garde à vue dans un commissariat de Harlem pour tentative de viol. Pour sa femme, Anne Sinclair, la terre vient de s’ouvrir. Dix ans plus tard, elle publie aux éditions Grasset, Le passé composé, ses mémoires.
Autant avertir tout de suite les lecteurs : vous ne trouverez pas dans ce livre de révélations fracassantes sur DSK. Mis à part le fait qu’Anne Sinclair n’était au courant de rien. La célèbre journaliste s’est suffisamment exprimée là-dessus dans les médias. Et nous la croyons volontiers. Ce qui frappe, à la lecture de ce récit, c’est sa sincérité. Anne Sinclair a l’air d’une femme bien. Anne, telle la femme de Barbe-Bleue, n’a rien vu venir. Elle dit avoir été sous emprise de DSK, cette nouvelle expression à la mode pour signifier qu’une femme est amoureuse. Peut-être à l’excès. Si on adopte une lecture féministe, toutes les héroïnes du théâtre tragique étaient donc sous emprise…
Un récit touchant
Nulles révélations donc, à part sur l’anatomie de son homme. Anne Sinclair écrit qu’une femme, qui aurait participé aux fameuses parties fines, lui a un jour parlé d’un détail intime qu’elle seule était en mesure de connaître (on devine aisément lequel). Elle seule et toutes les autres. Quand Anne se dévergonde, elle en devient touchante.
Il s’agit sinon d’un récit autobiographique, de l’enfance et la jeunesse dorées jusqu’aux méandres politico-médiatiques des années 80.
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Anne Schwartz, dites Anne Sinclair est née à New-York le 15 juillet 1948. Fille d’un industriel en cosmétiques et petite-fille d’un célèbre marchand d’art. Tout cela est presque trop beau, agaçant, la petite cuillère en argent. Enfance choyée, parents aimants, scolarité au cours Hattemer, avec ses semblables, issus de la grande bourgeoisie. Elle a pour camarades Véronique Sanson et Jean-Jacques Chaban-Delmas. S’enchaînent le droit, Sciences-Po, un premier emploi de journaliste à Europe 1 et enfin FR3, son tremplin de future star de la télé. Un conte de fée ? Seules dissonances : Anne est une fillette un peu boulotte et sa mère un peu trop étouffante.
La grande journaliste de la mitterrandie
Libé a joliment titré, dans un article en date du 2 juin : Les mémoires d’Anne Sinclair, ce cabinet de curiosités. En effet, c’est très juste. Sont évoqués pêle-mêle : Signoret et Montand (les donneurs de leçons en chef), Madonna, Hassan II, et bien sûr, en guest star, telle une ombre maléfique, une figure grimaçante dans sa collection : Jean-Marie Le Pen, qu’elle a toujours refusé d’interviewer à 7 sur 7. Le point de détail ne passait pas pour cette juive revendiquée bien qu’athée. Et nous la comprenons aisément. Mitterrand, enfin, apparait comme la figure tutélaire. Pour Sinclair, il est comme un vieux sage à la fois craint et respecté. Du moins jusqu’en 1988. Au début du règne, elle est dans les petits papiers du « monarque » (c’est ainsi qu’elle le qualifie elle-même). Invitée à plusieurs reprises à Latche avec son mari Ivan Levaï, elle joue son rôle de courtisane. Lors du sacre le 21 mai 1981, elle descend les Champs-Élysées avec la garde républicaine, en compagnie de Fabius et d’Attali. De quoi faire frémir les antisémites.
Pourtant, en journaliste intègre, elle le cuisine sur le plateau de 7 sur 7 en février 89, au sujet des affaires Pechiney et Société Générale. Ce qui lui valu alors les compliments du Figaro Magazine. Elle n’hésita pas non plus à titiller Hassan II au sujet de l’affaire Oufkir, mort dans des circonstances troubles. Aucune allusion par contre à la fameuse sortie du commandeur des croyants lorsqu’il déclara que les immigrés ne pourraient jamais s’intégrer dans notre pays…
Anne Sinclair nous parle d’un temps où le journalisme ressemblait à un artisanat exigeant, un temps d’avant les réseaux sociaux, qui paraît maintenant appartenir à la préhistoire. Cette femme, bénie des Dieux jusqu’en mai 2011, qui a su rester digne dans la tempête, nous avons envie de l’aimer. Encore et toujours, elle réveille la nostalgie des dimanches soirs des années 80, lorsque nous regardions 7 sur 7 d’un œil distrait. À la lecture de son livre, nous retrouvons un peu de douceur, comme si nous étions blottis dans un de ses fameux pulls en mohair.
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