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Mitterrand est de retour

Anne Lauvergeon publie « La Promesse » (Grasset, 2024)


Mitterrand est de retour
Anne Lauvergeon photographiée à Paris en 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

On replonge dans toute une époque et on retrouve tout le machiavélisme de Mitterrand en lisant le livre d’Anne Lauvergeon.


François Mitterrand aimait charnellement la France, et honorait ses morts. Il savait d’où il venait, de cette province où les ciels sont profonds et mouillés ; il savait l’évoquer au détour d’une conversation d’où surgissait le nom de Jacques Chardonne. C’était la France qui aujourd’hui lentement s’efface, comme les réclames sur les murs de fermes le long des départementales désertées.

Anne Lauvergeon, née à Dijon, élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, agrégée de sciences physiques, ancienne patronne d’Areva, devint le « sherpa » de François Mitterrand au début des années 90, à 31 ans, alors qu’elle occupait déjà la fonction de secrétaire général adjoint. Un soir de juin 1994, dans le parc de l’Élysée, peu avant un dîner avec le couple Clinton, le président, très affaibli par le cancer, lui demande d’écrire sur les années passées à ses côtés, et de ne pas hésiter à évoquer leurs conversations vespérales. D’abord, elle refuse. Puis elle finit par accepter en lui disant toutefois : « Pas avant vingt-cinq ans. » Les éditions Grasset annoncent la parution du livre en 2015 et nous sommes en 2024. Il fallait sûrement « donner du temps au temps », selon la formule mitterrandienne, pour que parût La Promesse.

Pour les jeunes générations, ce témoignage est intéressant car il reprend l’itinéraire complexe de celui qui fut 14 ans à la tête de la France. On y parle de la guerre, de son expérience formatrice de prisonnier en Allemagne, de ses trois évasions, de sa fidélité aux amis de l’époque, de la constitution des fameux cercles pour parvenir au pouvoir. Il est également question des zones grises du Mitterrand aux multiples facettes, surnommé « le Florentin » ; de son action controversée durant la période de la collaboration ; de ses fréquentations douteuses – René Bousquet étant la plus célèbre –, de l’attentat du l’Observatoire, en 1959, que l’auteure traite de manière trop succincte, de son refus obstiné de considérer Vichy comme la continuation de la République française. À ce sujet, Anne Lauvergeon rapporte les propos du président : « La République a donné le 10 juillet 1940 les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, qui le 11 juillet a supprimé tous les pouvoirs républicains. Vichy est un régime de circonstance qui n’a existé que du fait de l’occupation allemande. » Mitterrand ajoute : « Mes prédécesseurs, avant moi, ont œuvré à la réconciliation nationale. J’ai fait de même. » On retrouve le machiavélisme de l’homme politique qui, après avoir violemment attaqué, à plusieurs reprises, le général de Gaulle, l’homme du 18 juin, finit par se fondre dans son ombre, quand la situation lui est défavorable. Anne Lauvergeon ne manque de signaler les bienfaits du premier septennat qui offre aux Français un souffle nouveau – abolition de la peine de mort, « dépénalisation » de l’homosexualité, suppression de la Cour de sûreté de l’État, pluralité de l’audiovisuel public, ouverture des fréquences FM… – tandis que le second est miné par les affaires, les suicides et les métastases implacables. Voilà pour l’homme public. Côté cœur, on découvrira un amoureux transi, fort romantique, tendance lamartinienne, ainsi que ses amours souterraines, sans oublier Mazarine Pingeot, sa fille longtemps cachée.

Pour les adorateurs ou contempteurs de François Mitterrand, ce livre les confortera dans leur jugement. Une chose est certaine : Mitterrand avait le sens de l’État. Qualité essentielle, hélas perdue par nos dirigeants actuels. Il possédait également un instinct sûr, affermi par une connaissance de l’homme, qui lui permit de réaliser quelques « coups » politiques incroyables. Le plus spectaculaire étant de nommer Jacques Chirac Premier ministre, après la défaite aux législatives de mars 1986. Alors qu’on le pense définitivement cuit, Mitterrand sera brillamment réélu deux ans plus tard. À méditer.

Un détail pour conclure. Dans La Promesse, on apprend que Mitterrand tutoyait Anne Lauvergeon : insigne honneur. Je n’ai jamais entendu le président tutoyer Roland Dumas, fidèle parmi les fidèles qui l’accompagna durant son interminable traversée du désert.

Anne Lauvergeon, La Promesse, Grasset. 384p.

La promesse

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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