Si j’avais un conseil à donner à un jeune journaliste, moi qui suis un vieux débutant, je lui dirais qu’il ne faut pas écrire de papier qui amuse trop le rédacteur en chef. C’est courir le risque qu’il nous en réclame un autre, quand nous avons des livres à lire, de l’argent à gaspiller, des verres à boire et que nous savons que, si nous avons été drôle la dernière fois, c’était un accident, comme il arrive à Château d’Eau que, traversant le boulevard de Strasbourg, on croise un Blanc. Mais allez expliquer ça au patron — à la patronne, en l’occurrence. S’adressant à moi, Élisabeth Lévy : « Bravo pour ton papier sur Schiappa. Pour le prochain numéro, tu nous écriras un portrait d’Anne Hidalgo. Sois drôle. Anne Hidalgo, c’est un cadeau que je te fais. » Tous les cadeaux étant empoisonnés, j’ai tout de suite senti que celui-ci, comme les autres, me gâterait la digestion.
A lire aussi: Paris n’est plus vraiment Paris
D’accord, Patronne, Anne Hidalgo, ses voies sur berges piétonnisées, ses tweets, son vocabulaire technoïde, ses marches exploratoires, son néo-féminisme sélectif mais autoritaire offre tout ce que peut rêver un journaliste de Causeur désireux de tirer avec aise les cordes à gros lot qui lui feront emporter les félicitations de la cheffe et les applaudissements des lecteurs. Reste que ces facilités, ça gâche le plaisir, et la compotée d’idées néo-modernes que touille Anne Hidalgo pour le régal des Parisiens n’est pas neuve, elle est même un peu passée tant elle a été moquée depuis quinze ans que les socialistes font la loi au Conseil de Paris. Sans compter que c’est un portrait d’Anne Hidalgo, la femme, que je dois écrire. Patronne, vous êtes-vous déjà concentrée sur Anne Hidalgo, la femme, rien que la femme ?
« En sa compagnie, on se croirait à la table d’un bar à tapas mal éclairé »
Pour ma part, avant d’écrire cet article, je crois bien que je ne l’avais jamais fait. Voici mes conclusions. Anne Hidalgo n’est pas une femme sur qui l’esprit humain peut se concentrer. C’est comme s’il tombait en syncope dans une zone inconnue où il n’y a rien à voir. J’exagère. Cheveux bruns, cils bruns, yeux bruns, Anne Hidalgo parle d’une voix brune, chaude et nocturne, enroulant des phrases à l’infini sur un ton toujours égal, qui nous endormirait s’il ne s’y devinait un fond de mauvaise humeur, tapi dans la cendre du timbre comme un aspic sous un oreiller. C’est d’un aspic assez amolli qu’il s’agit, qui n’empêche de dormir que les plus timorés. On le remarquerait à peine si l’on ne savait comment sont les femmes.
Il faut croire que le passage des Pyrénées démagnétise nos cousins de la péninsule ou que l’Espagnol, qui est le plus exotique des oiseaux européens, se fait difficilement aux climats du voisinage. Je l’avais déjà remarqué en observant Manuel Valls qui, quelle que fût l’heure et la disposition des astres, promenait invariablement, dans la cour de Matignon, sa mine de torero crispé qui vient de prendre un coup de soleil. Anne Hidalgo, elle, après qu’elle eut quitté son Andalousie natale où elle cueillait des coquillages sur la plage de Cadix, semble s’être étiolée dans le petit bois français. En sa compagnie, on se croirait à la table d’un bar à tapas mal éclairé, installé dans un garage désaffecté de Cergy-Pontoise, par un après-midi de brouillard. Anne Hidalgo a au moins le mérite de ne pas escroquer la clientèle. Sous ses dehors insignifiants, elle ne dissimule pas un esprit original. Tout juste un esprit de brave inspecteur du travail qui moissonne avec patience et savoir-faire les champs lumineux du progressisme sociétal.
Puisque nous en sommes aux compliments, ne rouspétez pas, Patronne, si je dis encore des amabilités au sujet d’Anne Hidalgo. Ce n’est pas qu’il y ait beaucoup à dire, mais je sais qu’il y aurait quelque témérité à m’en prendre trop vigoureusement à elle, étant entendu que, lorsqu’on est mâle et qu’on ose la critiquer, ce n’est pas elle qu’on attaque, mais Camille Claudel, Emily Dickinson, Louise Labé, Hadewijch d’Anvers, Marie Madeleine, Sappho et toute la descendance d’Ève depuis les origines. Le génie d’Anne Hidalgo est d’avoir su tirer tous les avantages que lui offrait l’appartenance à son sexe en notre siècle de gynophilie politique.
Profitons de l’été, plus que 7 ans avant le début de l’apocalypse: Paris 2024
Ce don pour saisir les opportunités n’est pas son seul mérite. C’est une grande lectrice. Elle a lu Corto Maltese et peut citer n’importe quel vers de Bénabar. Elle ne s’en prive pas dans son livre rédigé sur mesure pour la campagne municipale de 2008, Mon combat pour Paris. C’est ce goût pour la littérature qui lui fait prononcer des phrases comme : « La résilience urbaine fait partie intégrante de la ville intelligente. La communauté de l’innovation parisienne, que nous connaissons bien, est demandeuse de contribuer », ou : « Roland-Garros est aujourd’hui un des symboles de la créativité architecturale et paysagère au service du sport dans notre ville », ou : « Nous créerons une maraude spécifique pour orienter les personnes migrantes en situation de rue », ou encore : « Mon projet de Paris, capitale de la participation citoyenne inclusive & attractive, repose sur la notion d’interculturalité. »
Ah ! que j’aime aussi chez Anne Hidalgo cet art de présenter toujours le bon canard à la griffe et à la dent de la fachosphère quand elle veut la mettre en appétit ! Par exemple, lorsque le 8 juillet 2015, sur RMC, elle déclarait : « Le ramadan est une fête qui fait partie du patrimoine culturel français. Le célébrer fait partie du partage et ne contrecarre pas la laïcité. » Succès garanti. Et ce n’est qu’un exemple. Quelle tristesse que les limites que nous impose le format d’un journal me contraignent à m’arrêter là, quand il y aurait encore tant et tant à raconter sur notre maire de Paris. Mais l’été ! l’été ! l’été ! Il faut en profiter, mes enfants. Il n’en reste plus que sept avant l’apocalypse, je veux parler de l’organisation à Paris des jeux Olympiques de 2024. Au début de son mandat, Anne Hidalgo assurait n’en pas vouloir, mais, comme elle ne saurait se contenter d’une bonne idée avant qu’elle ne l’ait remplacée par une mauvaise, elle a depuis changé d’avis. Tant pis pour nous. En attendant : repos.