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Recherche Anna désespérément!

La chronique de Monsieur Nostalgie


Recherche Anna désespérément!
Serge Gainsbourg et Anna Karina. "Anna" (1967) de Pierre Koralnik. DR

La comédie musicale pop de Pierre Koralnik sur une partition originale de Serge Gainsbourg diffusée le 13 janvier 1967 sur l’ORTF, avec Anna Karina et Jean-Claude Brialy en romantiques psychédéliques, est enfin visible dans une vraie salle de cinéma, au Champo, à Paris


L’objet est étrange, décousu, outrageusement coloré et dissonant dans le paysage télévisuel des années 1960 et encore aujourd’hui, en ce mois de décembre 2023, il intrigue, agace et séduit par ses défauts apparents. On se dit que la vieille télévision d’État avait les idées larges en ce temps-là et n’avait pas peur de désarçonner la ménagère dans son canapé par cet afflux de couleurs et de sons décadents. Long métrage aux allures de Dim Dam Dom, explosion colorimétrique à vous décoller la rétine, hybridation bruyante entre la « Nouvelle Vague » et la « Pop Culture », au croisement de la société de consommation et de l’avant-garde culturelle, « Anna » est l’œuvre conjointe du réalisateur franco-suisse Pierre Koralnik et de Serge Gainsbourg qui en signe la bande-originale, sans oublier les mains de féé de l’arrangeur Michel Colombier, mentor et précurseur de l’électropsychédélique. Dans le sillage de Jean-Christophe Averty, le petit écran dénoue son nœud de cravate Windsor et propose au public français un spectacle assez déroutant en ce mois de janvier 1967. Malraux est aux Affaires Culturelles, Marcellin à l’Industrie et Sanguinetti aux Anciens Combattants. Il y a donc de la danse, le chorégraphe Victor Upshaw modèle son ballet d’ouverture en s’inspirant de l’action painting, on se croirait à Broadway sous psychotropes ; il y a aussi une photographie et une lumière très audacieuses pour l’époque, on est loin d’Intervilles et du gros Léon qui a cassé ses lunettes, le chef opérateur Willy Kurant travaille les halos et les dégradés à la manière de Joan Miró ; il y a surtout un casting international premium, on y croise Monsieur Eddy impérial au micro, Marianne Faithfull en songe « Swinging London » et les détonants Hubert Deschamps et Henri Virlogeux. « Anna » est un bon poste d’observation de cette fin des années 1960, à la fois sur une politique de programmation vraiment ambitieuse – Michèle Arnaud est à la manœuvre – et sur ce qu’on appellerait aujourd’hui pompeusement « l’intermodalité » non pas des transports mais des disciplines artistiques. Le télespecteur pré-1968 est peut-être un veau, mais un veau pensant. On ne se contente pas de lui infliger des émissions avec un animateur et des chroniqueurs dans un studio blafard, le degré zéro de la création, on souhaiterait l’élever. Le mot est lâché.

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Premier téléfilm couleurs de l’ORTF

La télévision ne s’enferme pas alors dans le carcan de l’audimat et, pour cause, elle ne connaît pas les terreurs de ce futur horodateur, elle initie d’improbables projets, impensables en 2023, elle fait appel à de jeunes artistes talentueux, elle a une volonté émancipatrice qui n’est pas exempte d’affèteries, et ça donne ce téléfilm chanté, dansé, pastille hors-gabarit, dont l’incongruité même porte le sceau des affranchis. L’ironie de cette histoire est qu’« Anna » se trouve être le premier téléfilm français tourné en couleurs (en 35 mm) mais sera diffusé à l’ORTF en noir et blanc ! Le Champo, cinéma indépendant d’Art et Essai du Vème arrondissement, inscrit aux Monuments Historiques depuis 2000 nous offre enfin la possibilité de voir ce conte de Noël dans une grande salle et de se lover dans des fauteuils rouges. Anna Karina est une Cendrillon perdue dans une agence publicitaire modeuse dirigée par Jean-Claude Brialy, cet amour réfractaire se déroule dans le décor d’un billard électrique, dans un « Comic Strip » où l’onomatopée est de rigueur. Anna fait des BAM, des BOW, des BLOP, des WIZZ avec sa bouche et elle a sacrément du chien. Sa monture ronde et son large sourire tentateur suffisent pour valider cette expérience visuelle.

Robes transparentes

Comme tous les objets nouveaux, « Anna » peut déstabiliser par sa narration qui n’est pas linéaire et sa musique expérimentale qui fait parfois grincer les dents. Certains morceaux trop saturés et un découpage qui ressemble à un collage halogène ne sont pas habituels dans l’environnement télévisuel. Mais Anna Karina est là, écharpe rouge, sur une plage normande, elle chante « Sous le soleil exactement » de sa voix claire et puissante. Alors, on est cueilli. Comment lui refuser notre main ? Et puis, il y a des images qui ravivent notre nostalgie : Brialy en caban marin conduisant une Ford Mustang cabriolet, Gainsbourg en trench et clope au bec, des publicités Saint-Raphaël sur les murs des gares, des pulls en shetland et des robes Courrèges transparentes.

Informations et séances : Cinéma le Campo

Monsieur Nostalgie

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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