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Anna Karina est morte


Anna Karina est morte
Anna Karina en 1970 © GALMICHE/SIPA Numéro de reportage: 00400914_000003

 


L’icône de la Nouvelle Vague avait 79 ans


Anna Karina s’appelait Hanne Karin Bayer. Elle était née le 22 septembre 1940 à Solbjerg, Danemark, et elle est morte ce 14 décembre 2019. C’était une jeune fille protestante et fantasque, comme l’auteur national, Hans-Christian Andersen. Plus une société est corsetée, plus l’imaginaire se libère. Anna Karina avait quelque chose de la petite sirène. Une petite sirène qui aurait rencontré Coco Chanel et Godard, deux grands inventeurs de formes. Godard, c’est ce cinéaste que les gens qui n’ont jamais vu un de ses films exécutent en trois mots avec cette assurance péremptoire du monsieur Prudhomme de Verlaine qui a la digestion lente et l’esprit gras. C’est Godard qui a sublimé Anna K. Qui l’a inventée. 

Tout à l’heure sur une radio dont on taira le nom, une journaliste s’extasiait sur Anna Karina dans A bout de souffle vendant des journaux sur les Champs Elysées. Le problème, c’est qu’il s’agissait de Jean Seberg. Tout le monde peut se tromper. Enfin tout le monde sauf les journalistes qui sont payés pour ça. Ne pas avoir joué dans A bout de souffle ne l’a pas empêchée d’être l’icône de la Nouvelle Vague. Mais une icône très incarnée, une icône avec un sourire insolent dans Pierrot le fou où elle ne sait pas quoi faire, ou plutôt qu’elle ne veut rien faire car il ne faut jamais travailler. Ce qu’expliquera très bien Debord dans un célèbre slogan tagué rue de Seine en des années où on était encore capable de comprendre que l’augmentation de l’espérance de vie ne supposait pas qu’on doive mourir à la tâche.

Anna K. apparait dès le premier film de Godard, Le petit soldat avec Michel Subor. Amusant, ces gens qui pensent que Godard et avec lui La Nouvelle Vague auraient été des zozos gauchistes : Le petit soldat est un éloge masqué de l’OAS. Et ne parlons pas de Rohmer, éternel royaliste, de Chabrol dont la critique de la bourgeoisie est celle d’une droite tendance Flaubert, de Louis Malle qui connaît son plus grand succès à l’époque en adoptant le Feu Follet de Drieu.

Après, on a chacun son Anna K. Il y a ceux qui l’aiment battant des records de vitesse en traversant le Louvre en courant avec Sami Frey et Claude Brasseur, tout ce monde-là n’ayant pas soixante ans à eux trois et dansant dans les bars, parfaitement synchronisés, dès que l’occasion se présente. D’autres la préfèrent dans Alphaville (toujours Godard), fable antitotalitaire où Anna K a un regard vide qui se remplit au fur et à mesure qu’elle découvre l’amour. Il y a ceux enfin qui la regardent dormir dans Made in USA (encore Godard), une adaptation d’une série noire de Westlake où elle veut savoir qui a tué son fiancé à « Atlantique Cité ». Godard l’habille de couleurs vives, de motifs géométriques et fait d’elle une voix (avec cet accent délicieux dont elle ne se départira jamais) qui dit l’actualité mortifère des années 60 où derrière l’optimisme des Trente Glorieuses, il y a l’affaire Ben Barka, la Guerre du Vietnam et les opérations immobilières douteuses des affairistes qui se cachent dans l’ombre de de Gaulle.

Il est assez logique que Gainsbourg, aussi, l’ait aimée. Gainsbourg et Godard, ceux à qui on ne la fait pas, ceux qui choquent le bourgeois pour faire diversion et réinventer pendant ce temps le cinéma, l’amour, la chanson : on peut écouter « Ne dis rien » (avec Gainsbourg ou avec Brialy) en 67 comme BO du téléfilm Anna ou encore, la même année « Sous le soleil exactement. »

Tiens, 67, c’est l’année de La Société du spectacle de Debord où on lit : « Dans l’amour, le séparé existe encore, mais non plus comme séparé, comme réuni et le vivant rencontre le vivant. » Debord nous signifiait l’arrivée d’une ère glaciaire où nous deviendrions de plus en plus virtuels.  Parmi les présences vraies qui nous rappelaient paradoxalement alors qu’elles n’apparaissaient qu’en deux dimensions sur l’écran, que les corps ont une réalité il y avait certaines actrices. Anna Karina en faisait partie, avec disons, Bardot dans un registre différent.

Anna Karina lisait, dans Made In USA, une Série Noire comme Bardot dans Le Mépris. Mais ce n’était pas la même. Bardot avait posé sur les fesses Défense d’entrer tandis qu’Anna Karina avait, sur le ventre, Adieu la vie, adieu l’amour.  

Alors, Anna K, puisque vous êtes partie, faites de beaux rêves,  désormais loin d’Alphaville et sous le soleil, exactement.



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