Le quatrième roman de l’écrivain et actrice anglaise nous emmène dans un Mexique mi-réel mi-imaginaire. Le Rocher blanc raconte quatre histoires situées à des époques historiques différentes mais qui sont unies par un même symbole, le rocher sacré du titre.
Anna Hope, de fait, dans ce livre, nous propose un Mexique personnel, plus ou moins fantasmé. Elle l’indique elle-même dans une note : « Ma propre histoire rejoint celle de la ville et du rocher blanc à travers mes relations avec le peuple wixárika ». Il s’agit d’une antique ethnie amérindienne, vivant au centre-ouest du Mexique, à quelques encablures de l’océan Pacifique. C’est là, un peu au large de cette côte, que se trouve le fameux rocher blanc, accessible à la nage, qui donne son titre au livre. Les chamanes yoeme affirment que le monde est né à cet endroit.
Autour de cette excroissance sacrée, Anna Hope nous raconte quatre histoires, à différentes époques et en remontant le temps, narrations qu’elle interrompt, au centre du roman, par un poème sur le rocher blanc. Elle reprend ensuite, de manière symétrique, dans le sens inverse, l’ordre des chapitres, afin de revenir au présent. Telle est la construction sophistiquée du roman.
Retrouver l’inspiration
C’est d’abord en 2020, le périple d’une écrivaine anglaise contemporaine, venue remercier les dieux païens de la naissance de son enfant. Elle voudrait aussi écrire un livre sur le Mexique. Elle a fait le voyage pour trouver l’inspiration, dans ce pays qui a conservé quelque part une authenticité d’âme âpre et fascinante, malgré l’emprise du monde moderne. Car l’écrivaine est contrainte d’observer quand même la disparition progressive d’une culture, cette dépossession des terres ancestrales dans « la vallée fluviale la plus vaste et la plus fertile du Mexique, pour laisser la place à des entrepreneurs capitalistes mexicains et américains ».
Dans les autres parties de son roman, Anna Hope a mis également beaucoup d’elle-même, bien que cela apparaisse peut-être de manière moins directe. Dans l’épisode de 1969, « Le chanteur », elle retrace le voyage au Mexique du musicien Jim Morrison. Lui aussi est à la recherche de la pureté retrouvée. Anna Hope nous livre ici de belles pages sur une figure mythique de la musique rock, sorte de Rimbaud réincarné, drogué en permanence et imbibé, Mexique oblige, de mescal ‒ mais obsédé par une quête spirituelle qui le conduira sur le rocher blanc, « la plus simple des vérités ».
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Dans « La fille », qu’elle situe dans l’année 1907, Anna Hope revient sur la déportation dont furent victimes les Yoeme, vendus comme esclaves dans les plantations du Yucatán. Pour décrire cet événement historique particulièrement tragique, la romancière trouve des résonances troublantes qui annoncent la Shoah, et le rocher blanc devient symbole d’évasion et de liberté.
Le sens perdu de la civilisation
Le dernier épisode s’intitule « Le lieutenant », c’est peut-être le plus historique des quatre. Anna Hope met en scène la première expédition européenne qui, en 1775, en provenance d’Espagne et après avoir fait étape au Mexique chez le vice-roi, doit se diriger, plus au nord, vers la baie de San Francisco, pour la cartographier. Lors de cette traversée, un lieutenant espagnol devient fou, pris par cette obsession soudaine pour le rocher blanc. On a ici le récit coloré de cette aventure, qui m’a fait penser à certains livres de Naipaul, pour la peinture exotique.
Sous les différentes strates historiques du Mexique qu’elle fait revivre, Anna Hope tente de retrouver le sens perdu de la civilisation. Au final, ce sont seulement les éclats scintillants de cette expérience qui surnagent. La romancière ne conclut jamais, mais se laisse porter avec douceur par les contradictions de son sujet. Le rocher blanc ressemble un peu à la baleine, dans Moby Dick. C’est quelque chose qui peut représenter un idéal inaccessible ou dangereux ‒ à l’image même de ce pays mystérieux, le Mexique, dont ni les voyageurs-explorateurs, ni les écrivains n’ont jamais fini de découvrir les secrets.