Elles nous ont quittés en ce début d’année. Dans l’anonymat le plus complet. Un entrefilet dans la presse écrite, une image furtive au JT, une disparition sur la pointe des pieds. Les médias d’habitude si prompts à panthéoniser à tout-va avaient oublié jusqu’à leur nom. Branle-bas dans les rédactions qui ont des mémoires de poissons rouges. En dehors de l’actualité du jour, point de salut. Au fait, qui se souvient de ces femmes jadis célèbres ? Visiblement, personne. Elles ont écrit des livres qui ne sont plus réédités, tourné des films en noir et blanc dans les studios de Cinecittà ou des séries produites par la défunte SFP. C’est dire leur anachronisme repoussant. Ces « has been » n’ont pas récolté les quelques miettes de gratitude qu’on lance à la volée durant ces jours de recueillement. Le public n’a rien contre un peu de savoir-vivre et de culture, deux matières qui ne sont pas enseignées à l’école donc inutiles en société. L’ignorance prospère sur les écrans, elle coule même des jours heureux.
A l’annonce du décès de Geneviève Dormann, j’ai eu une envie pressante de relire cette hussarde à la voix profonde. Mission quasi-impossible. Même au cœur de Paris, dans la librairie de son éditeur Albin Michel ou chez les bouquinistes des quais de Seine, plus une trace de son œuvre. Houdini était passé par là. On me signalait toutefois la présence de l’un de ses romans à Saint-Denis de la Réunion. Dans l’Océan Indien, on n’oublie pas les dodos. Comment comprendre cette amnésie ? Il est vrai que seules les plumes en toc ont droit aux hommages officiels. L’impertinence, les sentiments amers et la belle écriture de cette journaliste comptent pour des prunes. De plus, elle avait eu le malheur d’être rattachée à un courant littéraire, les Hussards, qui, aux leçons de moraline, préférait l’impétuosité des Mousquetaires. Question de tempérament, de style. Le caractère de Geneviève explosait à la table de Pivot quand elle évoquait la carrière de Colette. « Les femmes naissent esclaves ou libres » lâchait-elle, satisfaite de cette formule expéditive qui claque le beignet des imposteurs. Elle avait été adoubée par le métier. Des certificats couronnaient son talent : Prix des Quatre-Jurys (Je t’apporterai des orages), Prix des Deux-Magots (Le Bateau du courrier), Grand Prix de la Ville de Paris (Fleur de péché), Grand Prix du roman de l’Académie française (Le Bal du dodo), Prix Kléber-Haedens (Le Roman de Sophie Trébuchet), Prix de la Biographie poétique (La Gourmandise de Guillaume Apollinaire) ou Prix Maurice-Genevoix (Adieu, phénomène). En 1959, elle avait fait son entrée dans le monde des lettres avec La Fanfaronne, un roman plein de grâce et d’abandon. « Les mots se mettent dans les souvenirs comme les mites dans un vêtement. Comme c’est vilain à voir, on remplace, on raccommode, on substitue. On dissimule une reprise sous une broderie » écrivait-elle. Des phrases comme ça nous pousseraient presque à prendre le premier avion pour Saint-Denis. Si longtemps après, la lecture d’un passage nous trouble, il en est de même avec certaines scènes de cinéma. Elles viennent perturber notre sommeil.
L’apparition d’Anita Ekberg fait partie des miracles felliniens. Dans la nuit romaine, nous entendons encore le son de sa voix, légèrement voilé par les jets de la Fontaine de Trevi. Elle appelle Marcello, elle supplie Marcello de la rejoindre. « Come here ! ». Qui peut résister à l’attraction de cette succube suédoise dans la Dolce Vita ? Cheveux blonds en cascade, épaules dénudées, seins conquérants, les années 60 avaient décidément le parfum du fruit défendu. Anita s’en est allée dans l’indifférence comme Corinne Le Poulain, incarnation de la française légère et désirable. Jolie frimousse, jeu virevoltant, sens inné de la comédie, Corinne en déshabillé de soie faisait merveille dans les séries télé d’après la crise du pétrole. Aux côtés de Georges Descrières, elle formait un couple passionné dans « Sam et Sally ». Geneviève, Anita, Corinne, merci pour ces moments !
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !