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Je suis animaliste, pas un violent brouteur d’herbe

Ces clichés infondés sur les animalistes


Je suis animaliste, pas un violent brouteur d’herbe
Marche pour la fermeture de tous les abattoirs organisée par L214, à Paris, juin 2018. SIPA. 00864987_000027

L’écrivain animaliste, Laurent Dingli, se dresse contre les clichés auquel est parfois confronté son combat pour la cause des animaux. 


Le débat sur la condition animale s’est imposé récemment grâce à l’action percutante d’associations, telles que L-214, et à la contribution de personnalités qui se sont fait les relais de la cause auprès de l’opinion.

Pour la plupart de leurs détracteurs, les défenseurs de la cause animale sont des idéologues fanatisés ou de doux rêveurs qui auraient perdu le sens des réalités comme celui des valeurs. Les amabilités qui leur sont régulièrement servies sur les réseaux sociaux vont du brouteur d’herbe pacifique et légèrement déluré au dangereux extrémiste qui menace rien moins que les fondements de la civilisation, voire l’essence même de la nature humaine. Fichtre !

Il n’y a pas d’opposition entre l’homme et l’animal

L’animaliste penserait plus à l’animal qu’à l’être humain : c’est le plus ancien et le plus fréquent des clichés. Il y a une quinzaine d’années, quand l’ours Cannelle, la dernière représentante de sa sous-espèce – des Pyrénées –, fut abattue par un chasseur, j’avais été consterné d’entendre le philosophe Michel Serres déclarer que l’on ferait mieux de s’occuper des enfants qui mouraient de faim dans le monde, comme si, les problèmes s’excluant, notre capacité psycho-affective d’appréhender le vivant dans sa diversité était définitivement bornée. La disparition d’une sous-espèce de notre planète n’était pas seulement un non-sujet, sa seule évocation constituait une sorte d’insulte, d’hérésie, un fâcheux parasitage au sein de l’éternel monologue entre l’homme et lui-même, en somme, un crime de lèse-humanité.

Pourtant, lorsque je pense à certains défenseurs prestigieux de la cause animale – Victor Hugo, Louise Michel ou le Mahatma Ghandi – je n’ai pas l’impression qu’ils se soient jamais désintéressés de notre divine espèce. Que dire encore du médecin, pasteur et théologien protestant Albert Schweitzer, prix Nobel de la Paix ; du compagnon de la Libération et double prix Goncourt, Romain Gary ; de l’académicienne Marguerite Yourcenar ou encore du biologiste protestant et sympathisant communiste, Théodore Monod ?

C’est parce qu’il est humain que Finkielkraut aime les vaches

Dans la vision du monde qui est la mienne, qui est la nôtre, il n’existe pas d’opposition entre l’homme et l’animal : l’être humain est réintégré dans une nature, un cosmos, que seuls son arrogance et son sentiment de toute-puissance lui donnent encore l’illusion d’avoir quitté. J’aime le beau symbole qu’exprime le nom de l’association de mon amie Muriel Arnal, présidente-fondatrice de One Voice : une voix pour les hommes et les animaux. En vérité, là où certains ne comprennent qu’exclusion, appauvrissement, d’autres pensent association d’idées, enrichissement de la pensée et de la sensibilité. J’apprécie également cette idée d’une passerelle jetée entre les espèces, d’une compassion qui ne se limite pas à nos semblables comme nous y engage depuis si longtemps l’exemple du scientifique et moine bouddhiste Matthieu Ricard. Si Alex Hershaft, co-fondateur de l’Animal Rights Movement, a dédié sa vie au bien-être animal, c’est qu’il a vécu la Shoah, comme il le confie lui-même, et qu’une grande partie de sa famille a été assassinée à Treblinka. N’est-il pas révélateur que la « crise de la vache folle » ait modifié la vision du monde d’Alain Finkielkraut, qui allait un jour évoquer avec profondeur, et malgré l’interruption des rieurs, la joie des vaches qui « dansent », c’est-à-dire celle d’individus libérés, désaliénés, le même Finkielkraut qui fit graver la représentation d’une vache sur son épée d’académicien ?

La violence n’est pas du côté que l’on croit

L’animaliste serait un militant violent. Cette accusation est brandie par des personnalités médiatiques, comme le philosophe Raphaël Enthoven. Ce qui a très sérieusement indigné ce dernier en 2013, ce n’est pas le « spectacle » du taureau que l’on torture longuement à coup de lance et de banderilles, ce n’est pas davantage l’agonie des chevaux éventrés qui répandent leurs viscères dans l’arène ou celle des taurillons suppliciés, non, ce qui l’a choqué c’est… la violence verbale des anti-corrida. Tout aussi burlesque est l’attitude actuelle des bouchers qui se prétendent terrorisés parce que du faux sang a été aspergé sur leurs boutiques. La bêtise et le sectarisme se rencontrent chez les animalistes comme dans tous groupements humains, ce n’est pas une révélation.

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Mais la violence est avant tout celle d’un système qui réduit des milliards d’êtres sensibles au rang d’objets de consommation, de machines à produire ou à divertir, niant leurs besoins les plus élémentaires, leur souffrance, leur existence même. Les véritables violences sont celles que nous refusions de voir avant que des associations nous obligent à les affronter : images insoutenables de ces chiens hurlant de douleur qui tentent de s’échapper du chaudron où les restaurateurs vietnamiens ou chinois sont en train de les bouillir vivants comme nous le faisons ici avec les crustacés ; moutons qui meurent piétinés, assoiffés ou littéralement cuits par la chaleur suffocante des camions ou des navires-mouroirs qui partent d’Australie ou d’Europe vers le Moyen Orient ; cochons de nos usines à viande nationales, entassés par millions sur des caillebotis, mutilés à vif, privés de la lumière du soleil, puis gazés ; poules entassées, écrasées ; poussins broyés ; oies et canards gavés, saignés ou asphyxiés dans des sacs par milliers lorsqu’ils sont malades ; veaux que, la semaine dernière encore, des paysans de Courchevel, avec une cruauté inouïe et par économie, ont laissé mourir de faim et de soif, attachés à une corde au milieu des alpages ; renards ou autres animaux sauvages et leurs petits déterrés, piégés, électrifiés par l’anus ou déchiquetés avec un raffinement de sadisme ; chats et chiens euthanasiés en masse – plus de 100 000 chaque année en France –, parce que, pour beaucoup d’entre eux, ils ont été vendus, achetés puis éliminés comme de vulgaires déchets ; poissons écrasés dans les filets de pêche, éventrés vivants, suffocant sur les ponts, serrés dans des bassins d’élevage où, atteints de dépression, ils restent prostrés et s’automutilent ; tortues, dauphins, requins, balancés en mer alors qu’ils sont blessés ou agonisants ; lions, éléphants, tigres, ours, encagés à vie et contraints de faire des numéros douloureux et ridicules ; individus que la réclusion rend fous, souvent atteints de mouvements stéréotypés et que l’on abattra sans merci s’ils tentent de s’évader et de se rebeller… De telles monstruosités ne se dénoncent pas seulement lors de conversations mondaines. C’est pourquoi, si nous refusons la violence, la radicalité nous est parfois nécessaire.

La cause animale ne menace pas notre identité

Les animalistes menacent notre identité et nos traditions, nous dit-on encore. Mais en quoi la longévité d’une pratique la rendrait-elle acceptable ? L’excision, le mariage forcé des enfants, sont également des traditions. Est-ce une raison pour les perpétuer ? Sous l’Ancien Régime, en place de Grève, on enfermait chaque année une douzaine de chats vivants et parfois un renard dans un sac que l’on hissait au bout d’un mât et auquel on mettait le feu. Jusqu’en 1880, il existait des arènes mobiles à Paris, très fréquentées par le peuple, et dans lesquelles on faisait s’affronter jusqu’à la mort des taureaux, des fauves, des chiens. Ces traditions ont fort heureusement disparu. La ville de Paris a-t-elle pour autant perdu son identité ? Le sud-ouest perdra-t-il la sienne lorsqu’il abandonnera la corrida mise à la mode tardivement par l’impératrice Eugénie ? Et nos compatriotes, juifs ou musulmans pratiquants, ont-ils besoin de tourmenter des êtres vivants pour exprimer leur foi ? Est-il acceptable au XXIe siècle d’égorger des êtres sensibles, de les laisser se vider de leur sang et parfois souffrir pendant un long quart d’heure, parce que cela correspond à des croyances antiques ou médiévales ? L’identité d’une région ou d’une collectivité n’est jamais figée. Elle est, à l’exemple de nos villes, un substrat de traditions qui s’amalgament et se modifient.

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Véritable phénomène de société, la cause animale transcende les clivages politiques, économiques, religieux et sociaux. Le respect des autres espèces est une fin en soi, mais également un puissant moyen de repenser notre relation au monde sans toutefois verser dans l’utopie millénariste et totalitaire. En plus du travail effectué par des associations, des élus et de simples citoyens, nous disposons aujourd’hui d’un nouveau cadre, le Parti animaliste. Le mouvement a plusieurs défis à relever, notamment celui d’éviter le sectarisme afin d’opérer un large rassemblement tout en conservant une ligne claire, ferme et cohérente. La mobilisation est d’autant plus urgente que le pouvoir actuel, en France, continue de défendre des traditions et un modèle productiviste éculés, tournant ainsi le dos à ce qui constitue l’un des éléments clés de la modernité. Partout dans le monde cependant, le changement est palpable. Le nouveau ministre de la Culture espagnol est un animaliste convaincu ; un parlementaire sud-coréen propose d’interdire l’élevage et la consommation de viande de chiens ; la Grande-Bretagne a banni la chasse aux renards ; la Norvège a annoncé qu’elle n’acceptera plus de fermes à fourrure sur son sol à partir de 2025 ; la Suisse, la Belgique, ont pris des initiatives d’avant-garde tandis que des dizaines de villes et de pays ont interdit les cirques avec animaux. En Argentine, un tribunal a reconnu le droit d’une orang-outan, « personne non-humaine », à la liberté et un juge de New-Delhi celle des oiseaux « à voler dans le ciel ». La cause animale s’est même invitée lors de la campagne présidentielle en Turquie après qu’un chiot labrador a été retrouvé, abandonné dans un bois, encore vivant mais les membres coupés. Autant de prises de conscience qui nous donnent des raisons d’espérer.

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