Outre-Manche, on assiste au déclin, lent et apparemment inexorable, des centres-villes. Depuis 2010, tous les gouvernements britanniques cherchent des solutions pour remédier au problème, en vain. Mais l’espoir d’un renouveau n’est pas encore mort. Témoignage.
On dit que Napoléon a traité l’Angleterre de «nation de boutiquiers». Pourtant, aujourd’hui, les commerçants anglais ne sont plus suffisamment nombreux ou florissants pour maintenir la vitalité des centres-villes. Depuis 2010, les gouvernements britanniques successifs ont cherché des solutions pour « sauver les centres-villes », mais ces derniers, malgré tous les efforts de l’État, continuent de se désertifier.
Après avoir quitté l’Angleterre pour venir vivre en France en 2012, je suis récemment retourné pour la première fois depuis quatre ans dans ma ville, Cheltenham. Située entre Birmingham et Bristol au sud-ouest de l’Angleterre, comprenant 116 000 habitants principalement de la classe moyenne, cette ville a toujours connu une activité commerciale intense ainsi qu’un centre-ville particulièrement animé. Dotée de boutiques de luxe et de grandes chaînes côtoyant des petits commerces, des bars et des restaurants, cette ville ne me semblait pas un instant devoir un jour subir elle aussi pareille désertification.
Dans le grand centre commercial de Cheltenham, une boutique sur trois semblait avoir été fermée. Par ailleurs, la diversité des magasins avait laissé place à une série de magasins vendant des articles d’occasion et à d’innombrables cafés presque vides. Même l’animation habituelle du soir n’avait plus cours ; on ne voyait plus grand monde sortant en groupe pour aller boire un verre.
Je me suis demandé ce qui s’était passé et ce que le gouvernement et la mairie faisaient pour améliorer la situation. Dans cette enquête j’ai pu interroger Tony Dale, adjoint au maire et responsable de l’économie et de la transformation au Cotswold District Council (autorité publique regroupant les petites villes autour de Cheltenham).
Plusieurs raisons expliquent ce phénomène au Royaume Uni, du reste accentué par les règles du confinement dues à l’épidémie de Covid. Tout d’abord, les « UK Business rates », équivalents aux cotisations foncières des entreprises en France, sont aujourd’hui calculés à 50% de la valeur locative, même si certaines remises sont accordées à quelques petits commerces. Et cet impôt, payé par l’entreprise installée ou par le propriétaire du bâtiment dans le cas où celui-ci est vide, est depuis des années le plus cher en Europe. Sans compter que le Royaume uni est toujours le pays européen le plus cher pour les espaces commerciaux.
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Du fait de ces deux effets conjugués, en février 2021, les dirigeants des grandes entreprises ont alerté le gouvernement sur le risque de l’accélération de la mort des centres villes, à moins qu’une réforme radicale du calcul de l’impôt ne soit envisagée. Car aujourd’hui, avec l’inflation à 10%, les charges fiscales des entreprises ne font que croître.
Cependant, une autre cause de ce phénomène tient au fait que les Britanniques sont les champions du monde de l’achat en ligne, à raison de plusieurs achats par semaine. En 2019, un sondage portant sur 4500 personnes et réalisé par Episerver (désormais Optimezely) montra que 38% des consommateurs au Royaume Uni commandent en ligne au moins une fois par semaine ; alors qu’aux États-Unis le pourcentage est de 26% et en Allemagne de 20%. Ce nouveau comportement a évidemment un effet négatif sur la fréquentation des magasins qui avait déjà baissé avec l’épidémie de Covid.
Par ailleurs, et selon Tony Dale, une autre raison éclaire la situation : certains grands commerces nationaux ont décidé de ne plus changer l’équipe de gestion en cas de bénéfice insuffisant ; dès lors, ces magasins sont systématiquement fermés. Sans compter que certains secteurs florissants, comme l’informatique ou la téléphonie mobile, sont désormais arrivés à saturation et que des magasins de ce type mettent eux aussi la clef sous la porte.
Conscient de ce phénomène des espaces vides dans les centres villes, en 2021, le gouvernement de Boris Johnson a modifié la réglementation concernant l’usage des bâtiments commerciaux des centres-villes. Selon Tony Dale qui, en tant que membre des Libéraux Démocrates, parti de centre gauche, est normalement opposé aux idées du gouvernement conservateur, « Le changement du système était nécessaire et je suis d’accord avec cette réforme ».
Historiquement considérés comme ayant un usage différent, les banques, les restaurants, les bureaux et les magasins sont dorénavant regroupés. Ce changement a permis aux propriétaires de louer des bâtiments à des entreprises affichant des activités différenciées sans avoir à en demander l’autorisation à la Mairie.
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D’autre part, il est maintenant plus aisé de changer l’usage d’un bâtiment et de le faire passer, par exemple, d’une activité commerciale à une fonction d’habitation. La conséquence de ce changement de réglementation est que ce ne sont plus les mairies qui sont désormais chargées de la cohérence ou de l’incohérence qui avait entraîné la fin de la diversité commerciale et le moindre afflux des visiteurs.
Tony Dale, qui se réjouit de ce que les jeunes professionnels puissent acheter dorénavant un appartement ou une maison a pu dire que Cheltenham fait face aux problèmes que les petites villes ont déjà subis et surmontés. Il a ajouté qu’il est par ailleurs normal que les charges locales soient importantes car le Royaume Uni est doté d’un nombre important de règles liées à la sécurité et à la santé publique ; règles bénéfiques pour tous mais qui engendrent, évidemment, un coût non négligeable pour les entreprises. Il se satisfait également de ce que les espaces commerciaux quittés par les grandes entreprises aient laissé place à des petits magasins artisanaux qui vendent des produits spécialisés et de provenance locale.
Ainsi, selon lui, le rôle des mairies a changé. Ce n’est plus aux élus de décider quelle entreprise pourra ou ne pourra pas s’installer ici ou là. Désormais, ils se concentrent sur le conseil aux petits commerçants en leur indiquant comment ils peuvent augmenter leur présence en ligne, comment faire face au changement climatique et comment s’approvisionner en produits et matériaux de la région.
Grâce à la nouvelle réglementation et au nouveau rôle des mairies, la situation du centre-ville de Cheltenham, des agglomérations environnantes et d’autres villes similaires en Angleterre est en train de s’améliorer. Tony Dale a bon espoir que la vie y reprenne ses droits. Et que Napoléon aura de nouveau raison dans le jugement qu’il porte sur les Anglais !
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