Le nombre d’immigrés clandestins qui s’élancent vers les côtes anglaises explose. Leur méthode, le chantage au sauvetage, est un casse-tête pour les autorités britanniques et françaises, et du pain bénit pour les bonnes âmes des ONG droit-de-l’hommistes.
« Putains de frontières, elles ne sont qu’un putain d’emmerdement[1] ! » Par qui ces paroles du groupe anglo-celte, The Pogues, ont-elles été citées ? Un migrant ? Un militant d’ONG ? Non, c’est Paul Lincoln, le chef de la police des frontières britannique ou Border Force, dans son discours de départ de son poste au mois de novembre. Avec de tels fonctionnaires, la tâche de la ministre de l’Intérieur, Priti Patel, déterminée à mettre fin à l’immigration clandestine, est problématique. Une inspection de la côte du comté de Kent, dans le sud-est de l’Angleterre, révèle une frontière maritime parfaitement poreuse, jonchée des zodiacs, gilets de sauvetage et couvertures abandonnés par les nombreux migrants illégaux qui réussissent à traverser la Manche dans des bateaux de fortune. Les résidents locaux parlent d’une « invasion par la mer ».
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Les ONG prêchent le « devoir d’hospitalité »
C’est fin 2018, après que la traversée clandestine dans des camions est devenue quasiment impossible grâce au renforcement de la sécurité autour du tunnel, que les migrants commencent à s’aventurer sur la mer dans des bateaux semi-rigides et – au moins une fois – à jet-ski. Si 1 890 personnes sont passées en 2019, le chiffre explose depuis : 8 400 en 2020 et déjà plus de 23 000 cette année. Le record pour une seule journée est établi le 11 novembre avec 1 185 passages. Autrefois île forteresse, l’Angleterre est aujourd’hui ouverte à tous les vents.
Il y a deux catégories d’arrivages : d’abord, les migrants dont les vaisseaux parviennent à accoster dans le Kent. Il suffit de se promener sur la plage pour en voir débarquer à la hâte et s’enfuir dans la nature. Certains se rendent aux autorités ou sont ramassés par celles-ci, mais il reste une incertitude sur le nombre qui arrive ainsi. L’autre catégorie comprend ceux qui sont secourus en pleine mer par la marine royale, la police des frontières ou l’Institution royale nationale des bateaux de sauvetage. Ces migrants pratiquent une forme de chantage. En se lançant sur la mer dans des embarcations à peine en état de naviguer, ils obligent les autorités à venir à leur rescousse et à les ramener sur terre. C’est ici qu’intervient un des principaux différends entre la France et le Royaume-Uni, celui-ci accusant celle-là de se débarrasser des migrants en les escortant jusque dans les eaux britanniques pour les y laisser.
Dans le Kent, les communautés sont plongées dans un état d’anxiété permanent. Kim Rye, conseillère municipale de la ville de Dungeness, s’est filmée au mois d’octobre en train d’interroger des inconnus surgis de la mer : « Pourquoi êtes-vous ici ? Il ne faisait pas bon vivre en France ? » Ils filent sans répondre. Plus tard, témoignant sur la nouvelle chaîne d’infos GB News, elle décrit des réfugiés ressemblant peu à l’image typique : vêtements de marque, chaînes en or, smartphone… Il est vrai que ces clandestins versent entre 3 500 et 7 000 euros aux trafiquants pour traverser la Manche. Selon Mme Rye, les locaux sont très en colère mais hésitent à s’exprimer de peur d’être accusés de racisme. Des organisations humanitaires présentes dans la région prêchent l’évangile du devoir d’hospitalité. Channel Rescue, par exemple, a pour objectifs de secourir les vaisseaux qui accostent et de dénoncer tout abus potentiel des droits humains par la police des frontières. L’association vient d’acheter son propre bateau. Ces organismes sont-ils complices de cette migration clandestine ? C’est ce que maintient Nigel Farage. En juillet, l’ancien brexiteur, nouvelle recrue à GB News, a tweeté une vidéo très controversée montrant des volontaires de Channel Rescue qui aident des migrants à gagner la terre ferme. Comme l’a souligné Gérald Darmanin, ce sont souvent des ONG britanniques à Calais qui gênent le travail des forces de l’ordre françaises. Une des plus en vue, Care4Calais, fait l’objet depuis août d’une enquête du gouvernement britannique pour des irrégularités de gouvernance.
Britannia paradise
Pourquoi les migrants sont-ils prêts à risquer leur vie pour venir dans ce pays que certains appellent le « paradis » ? Ils reçoivent sur leurs smartphones des messages très positifs de parents et d’amis ayant déjà réussi la traversée. Les trafiquants leur font aussi des promesses exorbitantes. Selon Gérald Darmanin, ils sont attirés par le dynamisme du marché de l’emploi britannique qui fonctionne « grâce à une armée de réserve, comme dirait Karl Marx, des gens irréguliers qui peuvent travailler à bas coûts ». L’analyse marxiste est un peu datée aujourd’hui. Surtout, les migrants savent qu’une fois sur place, ils ont de grandes chances d’y rester[2]. Pendant tout le processus de la demande d’asile, qui peut durer des années, le logement, les soins médicaux et la scolarisation des enfants sont pris en charge par l’État. Et parmi les déboutés, très peu sont expulsés. Les dépenses du ministère de l’Intérieur explosent. En septembre 2020 éclate le scandale d’un contrat, d’une valeur de presque 5 milliards d’euros, passé entre l’État et trois entreprises chargées de loger des migrants dans des hôtels, dont certains sont des quatre étoiles. Aujourd’hui, 64 000 demandeurs d’asile sont logés aux frais du ministère, dont 10 000 dans des hôtels, certains migrants dans le Best Western Kensington Olympia à deux pas du palais de Kate et William, l’héritier du trône.
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Que faire ? Priti Patel a autorisé Border Force à repousser dans les eaux françaises les vaisseaux que les Français auraient escortés jusque dans les eaux britanniques. Pourtant, cette pratique présente des difficultés légales et il est peu probable que Border Force – surnommée par certains « Uber Force » pour sa ressemblance avec un service de taxi – se montre très zélée dans son exécution. Le Parlement débat actuellement d’un projet de loi destiné à limiter les demandes d’asile de la part de personnes arrivées sur le sol par des moyens clandestins, mais l’application d’une telle loi dépendra du bon vouloir des magistrats. Si le gouvernement a besoin d’une chanson officielle, ce sera le tube des Stones, I can’t get no satisfaction.
[1] « Bloody borders, they are a pain in the bloody arse. »
[2] Pour l’année se terminant le 30 juin 2020, 48% de toutes les demandes d’asile ont été refusées. Tous les demandeurs peuvent faire appel. En moyenne, un tiers des appels réussit (« Asylum Statistics » publiées le 13 septembre 2021 par la House of Commons Library). Selon Migration Watch UK, seuls 25% des déboutés sont expulsés.