Accueil Monde Angleterre : ci-gît le multiculturalisme

Angleterre : ci-gît le multiculturalisme


Angleterre : ci-gît le multiculturalisme
Manifestation à Londres, le 31 juillet 2024. Mike Ruane/Story Picture Agency//SIPA

Le Royaume Uni continue à être secoué par des émeutes anti-immigration qui ont éclaté dans de nombreuses villes. Une situation qui a fait resurgir un antagonisme communautariste longtemps mis sous le tapis par les gouvernements successifs de Sa Très Gracieuse Majesté, pourtant confirmé par plusieurs études et sondages. Comme tous les exécutifs, le nouveau gouvernement travailliste jour la carte de la fermeté face à la violence, mais ne semble pas avoir de réponse à long terme aux causes sous-jacentes des émeutes.


Le Royaume Uni s’est réveillé dimanche matin 4 août 2024 sous le choc. Les images de rues couvertes de débris et de détritus fumants, conséquence d’un week-end de manifestations d’extrême droite qui a dégénéré en violence dans sept villes du pays, ont tourné en boucle à la télévision nationale comme elles ont fait la principale manchette de tous les tabloïds locaux.

Tout a suivi une attaque au couteau perpétrée à Southport (au nord de Liverpool), qui a coûté la vie à trois jeunes filles (âgées de 6 à 9 ans), lors d’une soirée dansante. La nationalité du meurtrier, un jeune rwandais de 17 ans, né sur le sol britannique, répondant au nom d’Axel Rudakubana, a mis le feu aux poudres. Très vite, des mouvements d’extrême-droite ont faussement accusé l’adolescent d’être un immigrant de confession musulmane. Le 29 juillet, un compte nommé Europe Invasion, qui est présent sur le réseau social X (anciennement Twitter) et publie régulièrement des images manipulées par intelligence artificielle, a publié un message prétendant – à tort – que le suspect était un immigré musulman. Le post a généré plus de six millions de vues. Dans la foulée, un compte TikTok, visiblement créé pour l’occasion, a appelé à manifester près du lieu de l’attaque, et a cumulé près 60 000 vues en quelques heures. De quoi rendre la situation explosive et dégénérer en affrontements raciaux.

Une des publications sur X à l’origine de la fausse rumeur sur l’identité de l’assassin de Southport.

Des groupes se sont rapidement formés, agitant tous des drapeaux de la croix de Saint-Georges, régulièrement utilisés comme symbole par les mouvements nationalistes (tel que l’English Defence League ou la néo-nazi Patriotic Alternative). À Leeds comme à Hull, des émeutiers ont jeté des bouteilles et brisé les fenêtres d’un hôtel abritant apparemment des demandeurs d’asile, affrontant violemment les policiers déployés pour protéger ces derniers. Une bibliothèque à Liverpool, transformée en site d’emploi pour migrants, a été incendiée. Des scènes similaires ont eu lieu conjointement à Manchester, Stoke-on-Trent, Blackpool et Belfast. À Bristol, nationalistes et antifascistes se sont confrontés, à coup de slogans (« Nous mourrons pour l’Angleterre », « Nous ne nous rendrons pas ») contre slogans (« Les réfugiés sont les bienvenus ici », « Racailles nazies, hors de nos rues »), ou de canettes de bière, de briques jetées à la face de l’autre avec des policiers peinant à séparer les deux groupes.

A lire aussi: Jusqu’ici tout va bien

Le Conseil musulman de Grande-Bretagne (MCB) s’est empressé de dénoncer les « groupes d’extrême droite » qui « crachent leur haine raciste » et qui « cherchent à intimider les communautés musulmanes » par tous les moyens. Bien que cet organisme reconnu ait condamné les nombreux actes antisémites qui connaissent un regain au Royaume-Uni depuis les attentats du 7 octobre 2003 perpétré par les terroristes du Hamas et la réplique israélienne qui a suivie, le MCB est critiqué par les plus radicaux des musulmans pour ses appels à l’unité multireligieuse. D’ailleurs, un certain nombre d’études suggèrent qu’une immigration de masse non-maîtrisée pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la cohésion sociale outre-Manche. Notamment, un sondage publié en avril par le think tank britannique Henry Jackson Society affirme que 32 % des musulmans britanniques considéreraient comme « souhaitable l’instauration de la charia au Royaume Uni »; seulement un musulman britannique sur quatre penserait qu’« Israël a le droit d’exister »; et plus de la moitié « confesse avoir de l’admiration pour le Hamas ».

Face aux Conservateurs qui ont accusé le gouvernement travailliste de laisser s’installer un climat de guerre civile dans tout le royaume, le nouveau Premier ministre travailliste, Sir Keir Starmer, a fermement dénoncé les émeutes, expliquant « qu’il n’y avait aucune excuse pour la violence de quelque nature que ce soit ». « Il s’agit d’une action coordonnée, délibérée. Ce sont des groupes d’individus déterminés à commettre des actes violents » a tenté de minimiser le nouveau chef du gouvernement du roi Charles III. S’il s’est engagé à donner aux forces de police le « plein soutien » du gouvernement pour prendre des mesures contre les « extrémistes qui tentent de semer la haine », de son côté, le ministre britannique de la police a averti ceux qui « s’en prennent à nos policiers, pillent des magasins, détruisent des biens et intimident les différentes communautés » vivant au sein de la monarchie « devront en subir les conséquences ». Une atmosphère tellement tendue que la ministre de l’Intérieur, Yvette Cooper, n’a pas hésité à déclarer qu’elle ferait appel à l’armée si les émeutes devaient continuer et submerger des forces de police visiblement épuisées après ces jours d’émeutes intenses.

A lire aussi: Que sait Patrick Boucheron de nos peurs?

Si le Royaume-Uni a déjà été la proie de manifestations similaires et aussi spectaculaires par le passé, mettant à mal un certain multiculturalisme, la récente poussée de la droite populiste lors des élections législatives (notamment avec le Reform UK Party de Nigel Farage qui a remporté 14% des voix) a relancé une mouvance qui trouve une caisse de résonance formidable sur les réseaux sociaux. A l’issue de ces événements, la vice-première ministre britannique Angela Rayner s’est emparée du sujet et a promis que certains groupes nationalistes feraient l’objet d’une demande de dissolution et d’une interdiction d’activités en vertu des lois antiterroristes. Le 5 août, après une réunion tumultueuse, le Premier ministre Keir Starmer a renchéri en annonçant qu’il mobiliserait « une armée » de réservistes afin de ramener le calme dans le royaume, laissant les Britanniques assez perplexes sur la gestion amatrice de ces émeutes par les travaillistes..

Un gouvernement qui, à peine élu, va devoir démontrer rapidement toute sa capacité à faire taire les antagonismes persistants et croissants entre les communautés au Royaume Uni, balayer la tendance radicale de son mouvement encore présent au sien du Labour et faire appliquer les principales lignes de son programme pour lequel il a été envoyé sur les bancs de la Chambre des communes : ordre et justice. 



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Mon faible pour Nelson Monfort…
Article suivant Chute libre en Rafale
Journaliste , conférencier et historien.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération